« Si le progrès a un sens, il commence par la reconnaissance du for intérieur et du droit de le préserver des intrusions vicieuses. (…) Quand m’atteignent les sons d’un baladeur écouté les yeux vides, d’un spectacle télévisé vulgaire, d’une émission de radio à vomir, d’une musique lamentable, cet envahissement m’emplit d’un sentiment de révolte parce que, derrière ces veuleries verbales et ces refrains bécasses, s’incarnent les étouffoirs qui empêchent de rêver, cogiter, imaginer ce qu’on veut. Mon sentiment se légitime par mon droit d’être libre. Je refuse de servir de cible au décervelage. Je ne défends pas seulement mon univers, mais le principe qui, fondant une distinction tranchante entre l’individu et la communauté, creuse entre la démocratie et le despotisme un abîme. » (p.69)
Comment ne pas compatir à la souffrance (réelle) exprimée par Jean-Michel Delacomptée dans son court essai (130 pages) intitulé Petit éloge des amoureux du silence… Quiconque a eu à supporter travaux le jour, voisins bruyants, proximité de lieux « de nuit », bars, boites… ne peut qu’acquiescer à cet éloge brillant du silence et de ses adorateurs, à ce réquisitoire impitoyable contre le bruit – c’est-à-dire le son subi, imposé, violent, non-désiré – et ses effets dévastateurs sur la santé physique et mentale de ses victimes. De l’ouvrier (qui ne fait que son travail, mais quand même) aux « djeuns » hip-hop à fond, scooters hurlants au coeur de la nuit, prompts à l’insulte voire à la castagne à la moindre remarque – même respectueuse et polie -, car aussi mal élevés que leurs soixante-huitards attardés de géniteurs (les gens mal élevés ont des géniteurs ; les parents éduquent leurs enfants), la nomenclature des bruyants, ces nuisibles, est à l’image de la connerie, infinie.
Comme le souligne Jean-Michel Delacomptée, l’ironie du sort réside dans le fait que la loi est du côté des silencieux, et elle ne considère aucune exception ; sauf que cette loi n’est (quasiment) jamais appliquée : connivence flagrante entre les pouvoirs publics locaux et les bruyants. Quelle ville osera se passer de la Contribution Économique Territoriale, cette taxe professionnelle 2.0 qui ne dit pas son nom, des bars, garages, boites de nuit et autres horticulteurs motorisés (donc paresseux et/ou vénaux : le jardinier passionné entretient son domaine végétal avec des outils mécaniques silencieux pour s’imprégner de la musique de sa nature) ? Aucune en ces temps de baisse drastique des dotations d’État.
Je partage avec l’auteur sa détestation du bruit, et surtout des bruyants. Ceci étant dit, je me démarque et dois nuancer ma position, ma détestation variant assez largement en fonction de la nature des bruyants. Ainsi, si j’apprécie d’écouter du métal (dans mon bureau pour ne pas déranger mon entourage qui ne goûte guère ce genre musical), le hip-hop et la « musique » techno sont pour moi, urbi et orbi (et sans tenir compte des « paroles ») une nuisance sonore qui devrait être réprimée sans faille à chaque saillie dans l’espace public. Les amateurs (et c’est bien leur droit) peuvent écouter leur bruit chez eux ou dans les salles de concert spécialisées. En outre, je renie la qualité de « musique » à du bruit qui ne nécessite ni pratique instrumentale, ni solfège, ni connaissance d’autres traditions musicales extra-européennes pour exister et polluer rues et radios. Mais je suis on ne peut plus subjectif, et entendre Mozart dans la rue ne m’a jamais dérangé pourvu qu’il soit bien interprété…
Trêve d’intolérance réactionnaire (pour les actionnaires – j’emprunte l’expression à Philippe Muray – du Monde et de Libé), le bruit habite notre quotidien et nous devons bon an, mal an, composer avec. Dans la mesure du possible, on s’installe dans un endroit qui nous semble « phoniquement » vivable. Je n’imagine pas une ville sans bars de nuits. La ville est déjà triste et individualiste en soi, elle deviendrait profondément sinistre voire suicidaire. Pas plus que je n’imagine mon village de campagne, celui de mon enfance, sans le rythme des cloches et le meuglement des vaches. À ce sujet, que les Parigots sensibles au bruit des cloches ne s’installent pas à la campagne, ils ne sont pas les bienvenus. Et même s’il est interdit de commenter une décision de justice, je vous laisse imaginer ce que je pense du juge administratif qui a donné raison à un couple de Parigots venus s’établir en Mayenne je crois, et voulant interdire les cloches qui les dérangeaient, alors même que l’ensemble de la population souhaitait les conserver. Ils ont hélas eu gain de cause, et il serait bon de réhabiliter le charivari et de leur imposer quotidiennement, journellement et nuitamment jusqu’à leur départ de ce village pour l’enfer.
Que les gens jardinent, fassent des travaux ou exercent leur profession bruyante en journée me semble inévitable. On ne peut pas non plus tout interdire comme les Diaphoirus de dispensaire s’échinent à le faire avec les menus plaisirs, tabac et alcool en tête ; ou comme l’État s’acharne à le tenter avec la vitesse sur la route, préférant fliquer les « mauvais » conducteurs (qui peut être contre la sécurité routière, sur le principe ?) faute de poursuivre les délinquants et criminels réels (victimes idéologiques du mâle blanc chrétien et bourgeois, donc protégés par l’État qui devraient protéger leurs victimes et la société). Un peu de bon sens, de mesure et d’éducation résoudraient le problème. Mais l’éducation étant devenue depuis Mai 1968 une oppression voire une dictature, et nos dirigeants de gauche comme de droite, appuyant en ce sens, ne cessant de « l’alléger » au nom d’une pseudo-égalité et des « droits de l’enfant » (la lutte pour l’interdiction de la fessée est à ce titre exemplaire : sa sectataire la plus acharnée est la pédopsychiatre Edwige Antier, un temps élue de droite au Conseil de Paris), on en a pas fini avec le bruit !
Philippe Rubempré
Jean-Michel Delacomptée, Petit éloge des amoureux du silence, Gallimard, 2011, collection Folio, 134 pages, 2 euros