« C’est pas normal d’être normal«
Écrire sur l’adolescence sans mièvrerie est une gageure que peu d’écrivains ont su relever avec brio. Le théâtre offrant par sa forme dialoguée la possibilité de la suggestion permet de faire ressentir au lecteur/spectateur ces questionnements et états d’âme par lesquels il transite ou est passé. Avec Coeurs Sourds, Laura Desprein, auteur dont nous apprécions particulièrement l’univers et la plume (et que nous suivons avec plaisir) a su transmettre cette quintessence bordélique et contrastée de l’adolescence.
Un groupe de cinq adolescents âgés de 15 à 18 ans, même lycée, se retrouvent, se croisent et s’entrecroisent dans une friche mal définie leur servant de repaire. De leurs échanges vifs, émus, coléreux, blasés, joyeux, de ces discussions se profile la quête du Moi, ce besoin de « se poser en s’opposant » comme le dirait Sartre. Tout l’art de Laura Desprein est d’avoir su incarner cet âge ingrat, sans théorie pompeuse ni leçon de morale, mais de la plus noble des manières, avec le coeur. Cette sincérité transpire à la lecture. Les souvenirs et les réminiscences de cette période si étrange, souvent difficile, et que pourtant on ne peut s’empêcher, parfois, de regretter, remontent à la surface, nous rappelant le chemin de vie qui nous a fait adulte. Et modulant notre regard de « vieux » sur cette faune incomprise attachante et souvent insupportable, les adolescents.
Coeurs Sourds des amours perdues avant d’être gagnées, des oscillations de l’âme, des préjugés, de la quête de soi… Coeurs Sourds est aussi une belle incarnation de l’amitié, vertu cardinale de toute personne honnête. Le propos de la pièce est intemporel et pourtant singulier dans sa puissance d’évocation. Cette pièce dégage une force de vie bienvenue en ces temps médiocres.
Philippe Rubempré
Laura Desprein, Coeurs Sourds, L’Atelier du Grand Tétras, 2015, 72 pages, 13 euros.