Antoine Reboul est un personnage hors du commun, à la fois intrigant, convenu et attachant. Officier de la Légion Étrangère en Indochine puis en Algérie, remarqué pour son courage et son caractère hors-norme, il fut par la suite romancier, notamment pour la jeunesse, pour la fameuse Bibliothèque Verte d’Hachette.
La Chair et le Glaive est un court roman publié à titre posthume. Sous-titré Algérie 1961, il nous fait revivre quelques mois de cette année après le putsch raté des généraux Challes, Jouhaud, Salan et Zeller du 21 avril, en compagnie du capitaine Von Rieder. À la tête de son poste de Lordouze, Von Rieder est une gueule de la Légion, un cadre hors cadre avec ses hommes comme avec ses supérieurs. Le roman alterne entre la vie du poste, avec ses accrochages, sa discipline, ses incongruités, et les lettres enflammées que le capitaine destine à Pilar, une amante rencontrée aux environs de Nice.
Antoine Reboul déploie ici tout son talent d’écrivain double. Il y a en lui deux plumes, deux personnalités. Il joue malignement avec le style épuré, précis, nerveux des grands récits militaires d’un côté, et en parallèle avec une plume littéraire, une prose amoureuse, éperdue, presque poétique, qu’il fait jaillir du stylo de Von Rieder.
L’ancien officier légionnaire signe par ailleurs à travers ce roman une réflexion singulière que la Guerre d’Algérie en mettant son héros aux prises avec la hiérarchie, les politiques, l’OAS, les Pieds-noirs, les populations civiles et les Fells. Sa position est iconoclaste en diable ; elle ne manquerait pas de faire réagir dans tous les bords. Elle a le mérite de nous interroger sur ce gâchis immense que fut la résolution de conflit, et pour quel résultat ?!
Le capitaine Von Rieder est un héros romanesque jusqu’au fond des tripes, aventurier érudit, rustre galant, dont la compagnie est des plus agréables à ceux pour qui le mot honneur n’est pas plus galvaudé que synonyme de fasciste ; aux amoureux de la liberté ; aux iconoclastes de la modernité individualiste, égocentrée et consumériste ; à ceux pour qui la vie ne se conçoit pas sans une quête de sens, un perpétuel dépassement de soi. Von Rieder est un personnage curieux que nombre de nos contemporains relègueraient volontiers dans les réserves d’un musée si ce n’est aux oubliettes. Avouons-le, Von Rieder je l’admire.
Je me dois de conclure cette chronique en touchant quelques mots de la magnifique préface signée Vladimir Volkoff, qui servit sous les ordres de Reboul et fut par la suite son ami. Sa préface est un bijou de portrait admirablement composé, malin et sans flagornerie, qui procure une furieuse envie de dézinguer quelques pastagas en compagnie du phénomène Antoine Reboul, paix à son âme.
Philippe Rubempré
Antoine Reboul, La Chair et le Glaive, préface de Vladimir Volkoff, Éditions LBM, 2009, 166 pages.