« Brassens pressentait bien cette société du sans-contact dont il constate les prémices dans ce qu’il chante […].
Eh oui ! La société qui vante son ouverture à l’autre, qui a en permanence la solidarité, la tolérance et les valeurs à la bouche, est aussi la société du sans-contact, de la distanciation sociale, […], de la ségrégation entre les insiders et les autres, ces ploucs imbéciles qui ont le tort de n’être pas comme ceci ou comme cela. »
Théophane Leroux, p. 48.
2021 est une année doublement anniversaire pour les admirateurs de Brassens : à la fois centenaire de sa naissance et quarantenaire de sa mort. Business et récupération obligent, la flambée éditoriale ne s’est pas faite attendre, mélangeant sans vergogne resucées commerciales et véritables œuvres consacrées à celle de Brassens. Parmi cette litanie, retenons le Brassens à rebrousse-poil du jeune journaliste Théophane Leroux, paru aux éditions Première Partie (qui comptent à leur catalogue la revue Limite, que je recommande chaleureusement à tous ceux qui attendent un autre regard sur l’écologie que la démago EELV et ses avatars gauchistes).
Pourquoi le bouquin de Leroux plutôt que celui de Maxime Le Forestier ou d’un proche de Brassens ? Eh bien pour son originalité ! – et pour une fois le terme n’est pas galvaudé. S’il fallait une preuve de l’intemporalité de l’œuvre du Sétois, la jeunesse de Leroux en est une. Il n’a manifestement jamais connu Brassens vivant (ou alors, chapeau aux maquilleuses!). De la jeunesse, Théophane Leroux a le regard neuf, et son Brassens à rebrousse-poil porte bien son titre. La lecture qu’il propose de l’œuvre du Moustachu à la guitare Favino est iconoclaste sans être irrespectueuse. À l’encontre de la fable communément véhiculée du bon tonton anar de gauche, amoureux de ses chats et de sa guitare, coulant des jours heureux au milieu de sa bande de copains, l’auteur brosse le portrait d’un Brassens profond sous la légèreté apparente de ses chansons ; d’un Brassens de son époque, et pourtant antimoderne ; d’un Brassens qui doute et qui cherche, et non du rigolo qui châtie les mœurs de la société en faisant rire avec ses chansons à gros mots. Toute cette analyse de l’œuvre de Brassens est fondée sur ses écrits, chansons, son journal, ses articles et entretiens donnés tout au long de sa carrière. En conséquence, Leroux écarte le risque de l’hagiographie ou celui du souvenir embelli de l’ami – qui, en dépit d’une volonté sincère de témoigner de la vie de l’artiste, conserve dans un coin de sa tête ou de son cœur une petite parcelle de vanité, celle de dire : j’en étais, moi, des amis de Brassens.
Écrite pendant le confinement (ce qui donne lieu à un « Prologue coronarien » des plus pertinents et tout à fait réjouissant), l’étude de Théophane Leroux dépeint son Brassens à rebrousse-poil en sept chapitres sonnant autant de trompettes de la renommée : « L’odieux du village » ; « Un poète classique » ; « Le passant du passé » ; « Contre l’esprit de système » ; « Le mal-pensant bienfaisant » ; « Et Dieu, dans tout ça ? » ; et pour conclure, « L’espérance au pied d’un chêne ». 130 pages qui témoignent d’une connaissance approfondie de l’œuvre de Georges Brassens. 130 pages qui révèlent son intemporalité, et proposent une lecture Ô combien actuelle de ce personnage si singulier et si cher à nombre de nos cœurs.
Le bouquin de Leroux nous invite brillamment à nous (re)plonger dans l’œuvre de Brassens. Goûtons avec lui cette escapade gourmande et reprenons-en les refrains en chœur !
Philippe Rubempré
Théophane Leroux, Brassens à rebrousse-poil, éditions Première Partie, septembre 2021, 131p.