Journal d'un caféïnomane insomniaque
vendredi avril 19th 2024

Insider

Archives

Un prof ne devrait pas dire ça…

… mais tout parent ayant des enfants scolarisés devrait lire ça. Les livres, essais ou romans, traitant du naufrage de l’éducation nationale depuis 40 ans ne manquent pas, et, me direz-vous, un de plus ou un de moins… Oui, mais, car il y a un mais, l’auteur, Ève Vaguerlant, ne traite pas des marges de l’éducation nationale ; elle n’enseigne pas (ou pas essentiellement) dans des établissements défavorisés ou dans les dits Territoires perdus de la République (périphrase qui en dit long sur le déni de réalité et la démission des élites de droite comme de gauche, mais surtout de gauche) ; elle enseigne dans des établissements « normaux », au sens où ils se situent dans la norme, ni établissements d’excellence de facto réservés à l’élite, ni à la lie où croupissent ceux qui n’ont pas la possibilité d’aller ailleurs (faute de connaissance du système, de piston, ou…). Des établissements que nous pouvons légitimement supposer représentatifs de l’état général de l’enseignement en collèges et lycées. C’est de ce point de vue que le témoignage d’Ève Vaguerlant prend une tournure particulièrement inquiétante. Il est en effet illusoire de croire que tout pourrait aller pour le mieux dans le meilleur des systèmes éducatifs possibles, sauf à nier les inégales capacités et compétences des élèves, sans parler de leurs centres d’intérêt. Concrètement, l’ouvrage s’interroge en deux temps, pourquoi les profs se plaignent-ils autant ; et pourquoi le niveau des élèves est-il aussi bas.

Entre une hiérarchie trop souvent carriériste ou pas-de-vaguiste qui les lâche à la moindre difficulté, (quand elle ne les crée pas ex nihilo) et trop de parents qui voudraient que leur petits choux chéris d’amour réussissent sans efforts (vous comprenez, c’est de la maltraitance de les obliger à bosser), les profs sont pris entre deux feux hostiles, et l’exercice de leur mission – l’instruction, essentielle pour la Nation – devient très compliqué, voire dans certains cas littéralement impossible. Comment instruire si la parole de l’élève vaut celle du professeur ? Comment instruire si demander aux élèves de travailler, d’apprendre, de réfléchir est jugé inutile (tout se trouvant sur l’Internet, la culture générale est devenue, à en croire certains, vaine et même discriminante) ? Comment instruire quand l’évaluation est jugée humiliante ? Comment instruire quand exercer son autorité professorale (pour avoir le calme en cours, ou établir des faits contestés par les superstitions de certains élèves, de plus en plus nombreux) est considéré comme fasciste ? J’en passe et des pires. Vous pensez que j’exagère ? Lisez le témoignage de Vaguerlant, et renseignez-vous.

À cela s’ajoutent les entrismes idéologiques de tout poil, wokiste, islamique, néo-féministe, ellegébétiste, gauchiste… L’école fut longtemps un sanctuaire, épargné par les questions politiques ou « sociétales ». Grâce aux criminels pédagogistes (Meirieu et consorts), elle ne l’est plus. L’école s’est ouverte sur la société dont elle est devenue un condensé des problèmes. Il faut reconnaître que cela n’aurait pas été possible sans le concours éminent de certains syndicats gauchistes de l’éducation nationale, de la FCPE, et sans l’inconsistance voire la lâcheté de la plupart des ministres de l’éducation nationale, au premier rang desquels Lionel Jospin (cf Creil, 1989). Les (rares) tentatives de réformer intelligemment l’école, c’est-à-dire de remettre les savoirs au cœur du système (et non l’élève), se heurtent à la résistance farouche d’une hydre syndicalo-administrative ultra-idéologisée, considérant comme facho toute opposition, aussi courtoise, argumentée et légitime soit-elle, et ne reculant devant aucune pression pour asseoir son petit pouvoir. Le pédagogisme obligatoire allié à la propagande permanente a découragé de nombreux enseignants qui ont démissionné, au sens propre comme au sens figuré, pour avoir la paix. Les rares résistants ont contre eux la hiérarchie, l’inspection et les parents. Je ne peux que vous inciter encore une fois à lire ce témoignage important, et vous renvoyer vers les essais de Jean-Paul Brighelli, Natacha Polony et d’autres sur l’éducation.

À chacun de s’emparer de cet ouvrage édifiant autant qu’inquiétant signé par Ève Vaguerlant. Rien n’indique, hélas, que les choses vont évoluer dans le bon sens. Le contraire est à redouter, et certainement le plus probable. Le ministre en exercice, Pap Ndiaye, a tellement confiance dans le système éducatif à sa charge qu’il scolarise ses propres enfants à l’École alsacienne, établissement d’excellence s’il en est, réservé à la progéniture d’élite.

Philippe Rubempré

Ève Vaguerlant, Un prof ne devrait pas dire ça. Choses vues et choses tues dans l’éducation nationale, L’Artilleur, 2023, 191p.