
« Dans un pays libre, on punit les gens pour leurs crimes, pas pour leurs opinions. »
Harry Truman
« La liberté d’expression, c’est la possibilité de dire à l’autre ce qu’il n’a pas envie d’entendre. »
George Orwell

L’écrivain franco-algérien Boualem Sansal a été arrêté à l’aéroport d’Alger le 16 novembre 2024, sous le grief grotesque et hypocrite d’avoir remis en question les frontières ouest1 de l’Algérie2 dans un entretien accordé au média dit d’extrême-droite (par tous les perroquets et les paresseux qui ne se sont jamais donné la peine de le lire ou de l’écouter3) Frontières. Sansal est devenu un pion sur l’échiquier fangeux des relations empoisonnées entre l’Algérie et la France. L’écrivain a finalement écopé d’une peine de cinq années de prison fermes (contre dix années requises). Il est, à l’heure où j’écris ces lignes, incarcéré à Alger.
Largement ignorée du grand public, l’arrestation de Boualem Sansal n’a suscité que trop peu de protestations ; une réaction veule et timorée du pouvoir ; et beaucoup trop de oui, il ne faut pas arrêter un écrivain, mais… Ces dernières réactions étant celles des lâches et de faux-culs qui donnent des leçons à longueur de journée. Ne pas être d’accord avec Sansal, même trouver ses positions choquantes, ne justifie en rien de relativiser l’acte liberticide dont il est la victime. Rappelons ici que la liberté d’expression des opinions, y compris les plus choquantes, est constitutive d’un régime politique libre comme est censée l’être la démocratie française. C’est d’ailleurs affirmé et reconnu par la Cour européenne des droits de l’Homme, en 1976 :
« La liberté d’expression […] vaut non seulement pour les informations ou les idées accueillies avec faveur, ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’y a pas de société démocratique4. »
Cour européenne des droits de l’Homme
Face au deux poids deux mesures et à la tartufferie généralisée, singulièrement – mais pas exclusivement, et loin de là – chez la France insoumise et les partis frères de l’ex Nouveau Front Populaire, la maison d’édition David Reinharc contribue à sauver l’honneur en publiant en mars 2025 Pour Boualem Sansal, un recueil de textes et d’interventions de personnalités d’horizons vraiment divers en soutien à l’écrivain embastillé. Dirigé par Pascal Bruckner et Michel Gadwolkowicz, l’ouvrage réunit des écrivains (Tahar Ben Jelloun, Sylvain Tesson), des sociologues (Smaïn Laacher, Eva Illouz), un ministre en exercice (Bruno Retailleau) et d’anciens ministres de tout bord (Pierre Lellouche, Gabriel Attal, Bernard Cazeneuve, Manuel Valls, Noëlle Lenoir), des avocats (dont celui de Charlie Hebdo, Richard Malka), des médecins, des juristes, des caricaturistes, des universitaires… une soixantaine de contributions qui exigent la libération sans condition de Boualem Sansal, expliquent son œuvre, démontent les accusations portées à son encontre (d’appartenir à la « fachosphère », entre autres, accusation qui ne tient pas une seconde). Tous ne partagent pas les positions de l’écrivain franco-algérien, et c’est très bien comme ça. Mais aucun ne baisse son froc devant la vilenie, l’injustice et l’hypocrisie. Honneur à eux.
Concluons en citant Marcel Aymé, dans un article de Carrefour daté de 1949, qui répond par anticipation au motif officiel de l’arrestation de Boualem Sansal :
« On peut faire l’apologie du crime sans être inquiété, mais on peut aussi aller en prison pour avoir simplement mis en discussion un chapitre d’Histoire. Faire œuvre d’historien est maintenant affaire de tact et non plus de savoir et de probité intellectuelle. »
Marcel Aymé, in Carrefour, 1949.
La manipulation de l’Histoire par les castes au pouvoir, en Algérie, en France et ailleurs, conduit toujours au recul des libertés réelles et à l’abrutissement des Hommes. Ne soyons pas naïf, l’Histoire est toujours celle de la caste au pouvoir ; l’Histoire est écrite par les vainqueurs, c’est bien connu. Ce qui ne rend pas sa manipulation à des fins idéologiques acceptable pour autant. Et ce qui rend de facto toute loi mémorielle essentiellement inique.
Libérez Boualem Sansal !
Philippe Rubempré
Collectif, Pour Boualem Sansal, Éditions David Reinharc, mars 2025, 262 p.
1Nous nous garderons bien ici de trancher le débat historique, ce n’est, nous semble-t-il, pas la question.
2La réalité (et non mon opinion) est que le régime algérien est comme l’empereur du conte d’Andersen, il est nu. Il est contesté par les Algériens (Mouvement du Hirak, manifestations régulières en Kabylie, abstention massive lors des élections et résultats à faire pâlir n’importe quel autocrate de république bananière…), ne tient que par la collusion des généraux et des islamistes (si l’on en croit la majorité de la presse française), qui s’accordent pour spolier le peuple algérien de ses libertés et de ses richesses en accusant la France, l’ancien colonisateur, horresco referens, d’être responsable de tous ses maux. Ce qui peut sembler de bonne guerre. Le problème est la France, qui ne réagit jamais ; au mieux qui ignore, au pire qui cède du terrain, incapable qu’elle est de se faire respecter, de crainte d’hypothétiques réactions violentes de la diaspora algérienne vivant sur son territoire.
3Frontières est un média qui s’assume de droite. Son « malheur » est qu’il est critique de l’immigration, du mondialisme et des dérives de l’état de droit vers un « pouvoir des juges » (non-élus, donc anti-démocratique). Cette ligne éditoriale est légale autant que légitime, qu’on l’apprécie ou non, ce n’est en rien la question. Libre à chacun de contester les propos tenus dans Frontières, sous réserve d’honnêteté intellectuelle. À aucun moment Frontières ne formule de proposition ou ne défend de position d’extrême-droite (donc, puisqu’il faut bien la définir, cette fameuse extrême-droite, valorisant le culte du chef, un État fort, l’autoritarisme, l’anti-parlementarisme de principe, la censure, la répression des dissidents, la désignation de boucs-émissaires en raison de leur ethnie, religion, appartenance supposées ou réelles). Frontières combat avec ses arguments (contestables, comme toute ligne idéologique, et fort heureusement contestés, preuve qu’il reste un semblant de débat dans ce foutu pays qu’est devenue la France) à la fois l’idéologie réviwokiste d’extrême-gauche, et libérale-libertaire macronito-UE compatible dont les grands succès depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale illuminent notre quotidien. Il semble que ce soit suffisant chez certains décérébrés incultes et moutonniers qui composent l’essentiel de notre « élite » politico-médiatique pour être qualifié « d’extrême-droite » (laquelle existe en France, hors de l’arc parlementaire, a ses publications et a même présenté une liste aux dernières européennes, Forteresse Europe, dont le score lilliputien est passé inaperçu).
4Citation empruntée à l’avertissement figurant au début de chaque numéro de la revue satirique de droite La Furia, elle aussi sous le coup d’une procédure judiciaire intentée notamment par SOS Racisme visant à la censurer (mais où est Charlie ? – qui défend sans arrière-pensée Boualem Sansal), procédure doublée des pressions d’usage sur les distributeurs pour qu’ils retirent la revue de leurs rayonnages, au nom de la liberté et de la démocratie bien entendu (pas d’accord ? Facho, va!).