« Cette rencontre que j’aurais aimé imaginer à Belo Horizonte, en septembre 1940, a donc réellement eu lieu, sur les hauts plateaux du Minas Gerais, un jour de l’été austral, en 1942. En janvier, plutôt vers la fin d’après les recoupements des chercheurs brésiliens qui ont reconstitué l’emploi du temps de Stefan Zweig avant son suicide. Très peu de jours, donc, avant sa mort, son renoncement à la vie. »
Sébastien Lapaque, pp. 44-45.

Le 23 février 1942, à Petropolis, dans l’état de Rio de Janeiro, au Brésil, l’écrivain Stefan Zweig se donnait la mort en compagnie de sa seconde épouse Lotte. Autrichien et juif, il avait fui l’Autriche et le nazisme pour la Grande-Bretagne, notamment, d’où, devenu suspect avec la déclaration de guerre en septembre 1939, il s’est exilé en Amérique du Sud, quittant définitivement sa chère Europe. « Adieu, vieille Europe, que le Diable t’emporte… », dirait Claude Rich dans Le Crabe-Tambour de Pierre Schoendoerffer… La veille de son suicide, Zweig laissait une lettre d’adieu dans laquelle il écrivait notamment :
« […] je pense qu’il vaut mieux mettre fin à temps, et la tête haute, à une existence où le travail intellectuel a toujours été la joie la plus pure et la liberté individuelle le bien suprême de ce monde. » (je souligne).
Quelques temps auparavant, début 1942, l’écrivain en exil rend visite à Georges Bernanos en sa retraite de la Croix-des-Âmes, à Barbacena, état du Minas Gerais, 215 kilomètres de Petropolis environ. Que vient faire l’écrivain juif Stefan Zweig chez l’(ex)-maurrassien catholique Bernanos ? C’est tout le travail d’enquête de l’auteur de ce livre palpitant.
Avec Échec et mat au Paradis, Sébastien Lapaque s’engage dans un voyage au long cours dans les pas de Zweig et Bernanos au Brésil ; il y effectue plusieurs voyages ; apprend la langue portugaise ; rencontre témoins et descendants… et parvient à retracer une histoire et à recréer un dialogue, dont il n’existe nul stigmate, entre l’intransigeant catholique Bernanos et l’Européen juif Zweig, deux idéalistes à leur manière, dont la rencontre sublimera les différences.
Plume racée, récit admirablement composé, conté de voix de maître et suscitant l’envie folle de se (re)plonger dans les œuvres de Stefan Zweig et Georges Bernanos.
Philippe Rubempré
Sébastien Lapaque, Échec et mat au Paradis, Actes Sud, septembre 2024, 336 p.