Journal d'un caféïnomane insomniaque
jeudi avril 18th 2024

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Et si on aimait la France – Bernard Maris

maris france    Ayant achevé la lecture de Et si on aimait la France, dernier essai inachevé de Bernard Maris, l’Oncle Bernard assassiné le 7 janvier 2015 lors de l’attentat islamiste contre la rédaction de Charlie Hebdo, je redécouvre une gauche intelligente, ouverte au débat, patriote et… de gauche ! Les tartuffes autoproclamés de la morale de gauche, qui n’est chez eux que moraline bien-pensante et contre-productive, m’avaient fait oublier que la gauche ne se résume pas au bal de faux-culs donneurs de leçons aux frais des autres (faites ce que je dis, pas ce que je fais, ils savent s’épargner les remèdes qu’ils prônent). Michel Onfray nous a rappelé qu’il est possible d’être de gauche et d’être en accord ponctuellement avec un Alain de Benoist, intellectuel de droite (assumée) si ce dernier a raison ; et de s’opposer à sa propre famille politique quand elle préfère introduire la théorie du genre (peu importe le nom qu’on lui donne) à l’école au nom de l’égalité au lieu d’apprendre aux gamins à lire, écrire et compter, c’est-à-dire au lieu de leur donner une réelle égalité de chances en rattrapant par le haut des lacunes familiales ou sociales. Les intellos totalitaires par complaisance préfèrent toujours quant à eux avoir tort avec Sartre que raison avec Aaron… À l’instar d’autres comme Onfray, Michéa ou Julliard (chacun à sa manière), Bernard Maris réveille une espérance de gauche disparue, noyée dans le libéralisme libertaire théorisé par Terra Nova et appliqué sans vergogne, mais non sans un certain cynisme, par un PS au discours lénifiant, à la limite de la méthode Coué (l’UMP, qui s’est soudainement découverte Républicaine, ne vaut pas mieux. Il y a matière à développer sur le sujet, mais ce n’est pas l’objet de cette chronique).

Ceci étant posé, revenons aux quelques cent quarante pages de la déclaration d’amour de Bernard Maris à la France. Pas une bluette niaise de midinette en fleur lectrice de Podium, non. Au fil du texte, l’auteur nous enchante par sa connaissance de la France, de son histoire comme de ses terroirs, de son peuple dans sa diversité. Et ne manque pas de rendre un hommage vibrant à son instituteur très sévère, Monsieur Vergniaud. Oncle Bernard n’est pas pour autant complaisant avec sa patrie. S’il regrette certaines orientations politiques ou économiques, s’il rappelle certains faits historiques peu glorieux (sans excuses ni repentance), il n’est pourtant jamais aussi brillant que quand il manifeste son enthousiasme pour notre langue, notre histoire, notre culture. En outre, il ne donne pas dans le sectarisme ou l’inquisition sauce Plenel ou Dély (liste non-exhaustive, trop longue à établir). Il n’hésite pas à se référer à des auteurs de droite, voire plus, et horresco referens, à leur reconnaitre qualités et talent. Bref, il admet qu’on puisse ne pas penser comme lui sans être réduit à l’état de salaud ou de fasciste (une exception, hélas, à gauche aujourd’hui). Son duel de papier avec Zemmour, qu’il a lu et qu’il commente dans son essai, se règle au fleuret des arguments ; pas dans la médiocrité de l’insulte ou la vaine condamnation morale – dont pourtant Charlie Hebdo use quelquefois (dans des proportions moindres il est vrai que Libération, L’Obs ou certains ténors du PS).

De la France, Bernard Maris nous dit qu’il faut l’aimer. Son amour de la France transpire au fil des pages. Aimons sa langue, sa littérature, son histoire, sa géographie, l’extraordinaire diversité des paysages, de la faune et de la flore, aimons sa grandeur, j’allais dire sa majesté… Tout ce que depuis la loi Haby nos dirigeants de droite comme de gauche s’échinent à exclure de l’école pour faire de nos enfants des consommateurs idiots et soumis, et/ou des coquilles de mollusques vides tolérant tout sauf le talent, l’excellence et le goût. Bernard Maris à la France à l’estomac ; il aurait pu reprendre à son compte l’invitation lancée par Ernest Lavisse dans son manuel d’Histoire à « aimer la France parce que la nature l’a faite belle, et son histoire l’a faite grande ».

Écrit dans un style à la fois fluide et classique, Et si on aimait la France se déguste comme un grand bourgogne. Avec cet essai inachevé, Bernard Maris démontre, s’il en était besoin, que la France est un grand et beau pays, qui mérite mieux que sa dissolution dans le mondialisme fade des financiers incultes et déracinés. Il fait aussi honneur à la gauche française en lui redonnant une tenue et une expression littéraire, politique, argumentée et cultivée qu’elle a – et je le regrette – trop souvent tendance à oublier pour verser dans la facile condamnation moralinisante ou le procès d’intention sauce trotskyste revisitée.

Quand bien même nous ne partageons pas ses idées, Bernard Maris nous offre avec la manière de réfléchir sur la France, son identité et son destin. Un essai revigorant en ces temps déprimés et égoïstes, une invite à la discussion et à la dispute civilisée (l’expression, que je trouve excellente, est empruntée à Elisabeth Lévy), doublée d’un bel hommage à la France.

Philippe Rubempré

Bernard Maris, Et si on aimait la France, Grasset, 2015, 142 pages, 15 euros