Journal d'un caféïnomane insomniaque
vendredi avril 26th 2024

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Y a-t-il un docteur dans la salle ? – René Fallet

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Voilà une chronique qui porterait sans mal un titre façon tableau, du genre « Autopsie d’un amour contemporain au scalpel des vers de Brel ». Y a-t-il un docteur dans la salle ? est un roman coloré, sensuel et tragique comme une toile de Gauguin.

Régis Ferrier, auteur et metteur en scène de 48 ans, est un grand amoureux devant l’Éternel, même s’il n’aime plus son épouse légitime… et si ses amours ne durent que rarement trois ans. Else, Mouche, Marieke… et Marthe !  Marthe, la toubib gauchiste de vingt ans sa cadette, Marthe maquée avec son hippie suisse ; Marthe au sein droit sensiblement plus proéminent que l’autre.

Avec ce roman publié en 1977, René Fallet se fait plaisir et le partage. Il ne manque pas de saisir son époque au plus juste, voire avec le sens de l’anticipation singulier qu’il démontrera dans La soupe aux choux. Ses aphorismes sont d’une pertinence inégalée aujourd’hui, jugez en vous-même : « Le gauchisme mène à tout, et surtout à la convention… ». C’est vérifié aujourd’hui, regardez où sont les anciens gauchistes. Fallet fait preuve en outre d’un sens du tragique dans la narration de l’amour qui, versification exceptée, n’est pas sans rappeler Corneille et Racine.

fallet docteur    Mécanique implacable de la jalousie sur fond de liberté et d’insouciance propres aux années 1970, le tout baignant dans les vapeurs de whisky et l’écume de bières belges. Marthe est jeune, rencontrée au sein de la bande de potes de Nadine, nièce de Régis, elle vit en communauté rue d’Aubervilliers, a un régulier, ancien drogué. Le choc des générations est saisi à point par Fallet, choc des conceptions amoureuses aussi. Et de mettre dans la bouche de Ferrier ces mots que lui-même n’aurait sans doute pas reniés :

« « Tu n’auras plus mes fesses si elles ne dorment pas à vie contre les tiennes. » L’amour, ce n’est pas ça pour moi. J’ai connu des gens, mariés chacun de leur côté, qui ne pouvaient se voir qu’une heure de temps en temps entre deux portes et qui, sans jamais un week-end ou un jour de vacances à eux, s’aimaient. Des années. Jusqu’au bout. Marthe n’est pas de ce sang-là. Dommage. Ce n’est pas une dame. C’est de l’ordinaire, et j’ai pourtant tout essayé pour améliorer cet ordinaire.« 

Ces mots de Ferrier montrent aussi la confrontation avec le féminisme qui se retrouvent au fil des pages, pour le meilleur et souvent pour le rire.

Grandeur et décadence des amours de Régis Ferrier aux accents bréliens, les vers du grand Jacques ponctuant le cours du récit. Brel et Fallet se rejoignent dans leur art de saisir l’instant, de capter l’émotion en quelques phrases, voire quelques mots. Ils se rejoignent aussi dans l’art de chanter les amours déçues. On retrouve de L’Ivrogne et du Jeff chez Ferrier / Fallet, en plus désenchanté, peut-être…

« – Paumée ! C’est votre grande excuse !  La panacée du jour ! Quand vous faites des conneries, c’est toujours parce que vous êtes paumés ! Je me tape La Godille parce que je suis paumée ! Je me came parce que je suis paumé ! C’est trop pratique. Moi, si je bois, c’est parce que je le veux bien, au moins ! Je prends mes risques. Je n’incrimine pas la fatalité.« 

Concluons notre chronique en soulignant chez Fallet un sens de la formule rappelant le grand Michel Audiard. Avant-goût avant que vous ne vous précipitiez pour vérifier s’il y a bien un docteur dans la salle : « Son cul en a vu d’autres, d’accord, mais il n’a jamais volé aussi bas, le malheureux. »

Philippe Rubempré

René Fallet, Y a-t-il un docteur dans la salle ?, Denoël, 1977, 361p., 9,50€ en poche (Folio)