À la mémoire de Pierre N.
Je me souviens de la Renault 18 verte de ma mère. Un break 4 vitesses, on le surnommait « le tank ». Son moteur a fait boum, comme celui des Dupondt dans Tintin au Pays de l’Or noir, sur la route de Landerneau. Je me souviens de la 4L de mon père, plancher en paquets de Marlboro et aération par les trous de la carrosserie. Une légende dans le bourg. Il faut croire que le paquet de cibiches nuit autant au plancher automobile qu’à la santé, mon père ayant été obligé de se séparer de sa 4L (pour une Alfa Romeo 75) le jour où il est passé à travers le plancher ! Je me souviens de mon grand-père maternel, artisan garagiste à l’ombre des buttes ardoisières et des chevalements du Sud-Mayenne, Amateur de vieilles voitures. Je me souviens des bagnoles alignées dans la cour, devant le garage. Je me souviens de la Renault Prairie, qu’il démarrait à la manivelle dans une pétarade bleutée et enfumée ; je me souviens de sa 4L « camionnette » au poste vissé sur Radio Bleue ; de sa Peugeot 504 blanche, la cinq sens, comme il disait, synonyme pour moi, mon frère et mes soeurs de vacances ; je me souviens de la 404 pick-up utilisée comme dépanneuse, souvent garée sur la fosse du garage ; de sa 2CV Citroën, avec les portes avant qui s’ouvrent à l’envers, entièrement construite de ses mains à partir de deux cadavres pour fêter sa retraite. Aujourd’hui, mon grand-père n’est plus, mon père ne conduit plus.
Cette douce nostalgie de temps heureux s’est réveillée à la lecture du dernier opus de Thomas Morales, Éloge de la voiture. Sous-titré Défense d’une espèce en voie de disparition, cet essai est un bijou de nostalgie joyeuse, une nostalgie littéraire autant que cinématographique ou familiale. À travers le prisme des voitures de sa vie, Thomas Morales rend ses lettres de noblesse à cet art de vivre que fut (et reste pour une élite) l’automobilisme, loin des préjugés et des oukases à l’encontre du conducteur-pollueur, fond de teint comptant pour rien des ceusses qui peuvent se permettre de n’utiliser que métro, tram ou vélo au quotidien, infime minorité de bobos amnésiques. Car l’automobile fut, et est encore parfois et heureusement, une oeuvre d’art populaire, un symbole autant qu’un véhicule de liberté. D’aucuns ont parlé de « civilisation automobile ». Et ce ne sont pas les (nombreux) ouvrages, titres de presse ou beaux-livres, consacrés aux Ferrari, Porsche, Delahaye et autres Bugatti ou De Dion-Bouton qui vont me contredire !
Morales, une fois de plus, distille généreusement sa gourmandise en brocardant avec humour bien-pensance et infantilisation à outrance. Sa lettre ouverte à Anne Hidalgo, ci-devant bourgmestre de Lutèce, prouve son ouverture d’esprit et sa finesse : l’automobiliste passionné peut être en même temps un être galant, gracieux et cultivé. Cette nouvelle pierre à l’oeuvre de Thomas Morales est un nouveau vaccin contre la connerie, une nouvelle déclaration d’amour à la beauté, à la liberté et à une certain savoir-vivre inspiré par la voiture. Littérature, cinéma, géographie, gastronomie ne sont pas en reste. Avec Morales, la voiture demeure ce symbole fantastique de liberté individuelle…
Philippe Rubempré
Thomas Morales, Éloge de la voiture. Défense d’une espèce en voie de disparition, Éditions du Rocher, 2018, 228 pages, dans toutes les bonnes librairies le 19 septembre 2018.