Journal d'un caféïnomane insomniaque
vendredi mars 29th 2024

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Retour sur les Aventures de la Chevalière, d’André Hodeir

Le diptyque historique d’André Hodeir, Les Aventures de la Chevalière et La Chevalière et le panache blanc, romans destinés à la jeunesse, est, à la relecture, d’une actualité saisissante, et mérite une belle réédition. Depuis qu’ils m’ont été offerts, je les relis au moins une fois l’an – leur état en témoigne ; cela me redonne de l’espoir.

S’étalant de Charles IX à Henri IV, au cœur des Guerres de religion, ces deux romans mettent aux prises personnages et événements historiques avérés avec une galerie de personnages de fiction absolument truculente, à commencer par leur héroïne, la Chevalière Ermangarde de Samantha. Montée à Paris pour participer au tournoi d’escrime du roi Charles IX, elle n’est vaincue qu’en finale contre une fine lame historique, Bussy d’Amboise. Elle est alors âgée de douze ans, ce qui lui vaut le surnom de « Petite Chevalière ». À cette occasion, elle rencontre Armando, pâtissier de la reine-mère Catherine de Médicis, lequel restera une amitié fidèle, et Henri de Navarre, prince protestant fiancé à Marguerite de Valois (la future reine Margot), « invité » au Louvre, au service duquel elle met son épée, étant elle-même parpaillote.

D’une fidélité sans faille à Henri de Navarre, la Chevalière sert aussi à l’occasion le roi de France. Ce sont ses aventures que nous dévorons avec un plaisir non dissimulé, jusqu’à la veille du sacre d’Henri IV. André Hodeir nous fait revivre ainsi cette période troublée et encore traumatisante des Guerres de religion.

Sans ce traumatisme, en effet, sans les réminiscences qui ont suivi avec l’abolition de l’Édit de Nantes (1598, autorisant le culte protestant dans le royaume sous certaines conditions) par l’Édit de Fontainebleau (1685, adopté par Louis XIV), les dragonnades qui ont suivi, la révolte des Camisards et j’en passe, aurions-nous adopté la loi du 9 décembre 1905 portant Séparation des Églises et de l’État ? Cette fameuse et décriée laïcité à la française, unique au monde par sa rigueur (et qui ne consiste pas à interdire les crèches, les calvaires ou les statues de saints, avis aux ignares et aux faux derches), est aussi le produit de ces conflits fratricides entre religions et vise à les éviter. Ce que d’aucuns oublient, ou veulent faire oublier, avec des intentions inavouées parce qu’inavouables.

Cependant, si le diptyque traite (aussi) de tolérance religieuse, ce n’est en rien un traité de moraline pour donneurs de leçons. La vertu qui y est célébrée est l’Honneur, partout valorisé. Hodeir nous fait ainsi revivre l’assassinat du duc de Guise, chef de la Ligue catholique, par les Quarante-Cinq, la garde personnelle du roi Henri III. Le roi a demandé initialement à Crillon de l’assassiner, ce qu’il refusa, préférant le provoquer en duel. Ce ne fut pas l’option retenue par Henri III. L’honneur n’est pas l’apanage de Crillon, la Chevalière, apprenant par hasard le dessein du roi, essaya à son tour de prévenir le papiste Guise, bien qu’elle fût parpaillote et son ennemie. Un ennemi se combat à la loyale, voilà ce qui est défendu ici. L’actuelle foire à l’encan présidentielle illustre parfaitement le fait que l’Honneur n’est plus une vertu chez les politocards.

Par ailleurs, les romans d’André Hodeir sont intéressants sur le plan littéraire, quand bien même ils sont classés romans pour la jeunesse. La jeunesse y retrouvera bien entendu les codes du roman et une solide base de culture historique, mais aussi le théâtre et la poésie en vers. Les dialogues sont présentés à la manière théâtrale, didascalies incluses, et nombre de personnages taquinent la muse. La musique n’est pas oubliée – André Hodeir était lui-même violoniste, compositeur et arrangeur. La plume est truculente à l’image de la grande histoire de France. Les émotions jaillissent et vous saisissent au cœur de cette saga bovarysante en diable !

Enfin, Les Aventures de la Chevalière sont pleines d’humour, entre calembours et personnages secondaires qui ne sont pas piqués des vers, au premier rang desquels l’inénarrable baron de l’Escalope. Espion nabot à la chevelure rouge, traître, professionnel du camouflage et de la roublardise, tout acquis à la cause de la Ligue, il s’acharne à contrecarrer Henri de Navarre pour que ce prince protestant ne puisse devenir roi de France. L’Escalope y déploie une inventivité tout à fait réjouissante ! Son récit de la bataille d’Arques, une défaite de la Ligue, est hilarant. Toute la mauvaise foi, le jésuitisme et la sournoiserie du baron transpirent dans cette lettre adressée à son épouse, qu’il affuble de surnoms tous plus cocasses les uns que les autres.

Roman historique pour la jeunesse, certes, le diptyque d’André Hodeir ne souffre pour autant aucune interdiction aux adultes. Vous lirez Les Aventures de la Chevalière et La Chevalière et le panache blanc avec autant de plaisir qu’un bon roman d’Alexandre Dumas père !

Philippe Rubempré

André Hodeir, Les Aventures de la Chevalière,suivi de La Chevalière et le panache blanc, L’Ami de Poche Casterman, mars et août 1983, 191 & 222 p.