Journal d'un caféïnomane insomniaque
jeudi avril 25th 2024

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Le Manufacturier – Mattias Köping

Si la terminologie « roman noir » a une signification réelle, alors Le Manufacturier de Mattias Köping l’épouse parfaitement. La lecture de cet excellent roman est d’une violence inouïe, jamais gratuite ni voyeuriste (et l’avertissement apposé en couverture ainsi que la préface de l’auteur à l’édition de poche ne sont ni galvaudés, ni des coups de communication : l’ouvrage s’adresse à un public – très – averti). Amis lecteurs, en entrant dans l’antre du Manufacturier, vous abandonnez tout espoir, toute illusion sur la nature humaine. Décidément, Rousseau s’est planté : l’homme ne naît pas bon. Même s’il semble que, parfois, il puisse le devenir… un peu.

L’histoire se déroule en 2017, année où se chevauchent plusieurs enquêtes dont la clé de voûte est fracassante. D’un côté, le capitaine Vladimir Radiche, flic de la Crim’ du Havre aux résultats aussi probants qu’il est imbuvable, doit résoudre deux assassinats, celui d’un dealer torturé et balancé aux ordures, et celui d’une femme et son bébé atrocement massacrés et mutilés. De l’autre, une avocate serbe, Irena Ilic, enquête sur des crimes de guerre commis pendant le conflit en ex-Yougoslavie par une milice baptisée les Lions de Serbie, sous la férule d’un Dragoljub qui semble tout droit sorti des enfers pour répandre le sang, la terreur et la désolation. Irena espère coincer ce criminel évanoui dans la nature depuis une vingtaine d’années par l’intermédiaire de Milovan, seul rescapé par miracle à douze ans du massacre de sa famille, et qui vit désormais en France. L’araignée Köping tisse magistralement sa toile jusqu’à la croisée des enquêtes de Radiche et Ilic…

Menée tambour battant avec une précision et un réalisme saisissant tant dans l’écriture que dans les dialogues, l’histoire du Manufacturier explore les conséquences actuelles de l’explosion de l’ex-Yougoslavie sur fond de crimes de guerre, crimes contre l’humanité, trafics de stupéfiants, d’êtres humains et autres crimes sadiques. Ce roman, un bijou du genre, ne laisse que très peu d’espoir sur la condition humaine, intangible et marquée à jamais du sceau de ce que les Chrétiens appellent péché originel, ce quel que soit le nom ou le fond qu’on lui donne, et quoi qu’en pensent les optimistes, les droits de l’hommistes et autres humanophiles.

La fin du roman, glaçante, éclaire d’une manière limpide la citation de Louis-Ferdinand Céline placée en exergue par Mattias Köping, extraite du bien nommé Voyage au bout de la nuit :

« C’est des hommes et d’eux seulement qu’il faut avoir peur, toujours. »

Philippe Rubempré

Mattias Köping, Le Manufacturier, (Ring, 2018) Magnus, 2022, 667 p.