Journal d'un caféïnomane insomniaque
vendredi octobre 18th 2024

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Au lendemain d’une pantalonnade électorale…

Les élections européennes du 9 juin 2024 ont vu sans surprise la victoire de la liste du Rassemblement national emmenée par Jordan Bardella. La liste gouvernementale de Valérie Hayer obtient un score deux fois inférieur à la liste populiste dite d’extrême-droite (mais qu’est-ce que l’extrême-droite ? personne ne se donne la peine de la définir). À la surprise générale, le président de la République Emmanuel Macron dissout l’Assemblée nationale, prenant de court sa propre majorité et ouvrant un bal carnavalesque qui nous inspire ces propos désabusés.

Après la « quinzaine anti-Le Pen » (Philippe Muray) en 2002, le mois anti-Bardella en 2024 ? Suite au tsunami dans le marigot politicien des européennes, les larmes de crocodiles de la classe politique française et les cris d’orfraie des syndicats de toutes professions le laissent penser. Ici, l’intuition de Karl Marx s’avère plutôt pertinente : l’histoire repasse toujours les plats, la première fois comme une tragédie, la seconde comme une farce. Disons qu’en 2002, après l’accession inattendue de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle, ce fut une tragicomédie (à laquelle, en bon étudiant, j’ai pris ma part, contre le FN de l’époque), et qu’en 2024, c’est bel et bien une farce, et des plus sinistres, qui s’annonce. Tout le spectre des partis dits républicains (il faudra m’expliquer en quoi, concrètement, le RN ou Reconquête ne le sont pas ?) hurlent au retour des Zheures-les-plus-sombres, no pasaran et tutti quanti. On joue à se faire peur alors que la SEULE liste d’extrême-droite (emmenée par l’avocat du négationniste Faurisson et de Soral, ouvertement nationaliste, anti-démocrate et anti-républicaine) n’a obtenu qu’un résultat anecdotique (à peine plus de 5 000 voix sur la France entière, aucun élu), pour ne pas dire ridicule. Ce constat n’empêche pas le retour des résistants de 46, des (Z)héros de la vingt-cinquième heure, des néo (pseudo)-Jean Moulin, qui, eux, ne risquent strictement rien.

Alors, Macron, qui dissout l’Assemblée nationale, donc qui joue (en apparence, du moins), la démocratie (sans majorité, après une défaite historique de son camp, il n’est pas illégitime d’en appeler aux électeurs, quand bien même il aurait pu – ce qu’aurait fait n’importe qui – ignorer en dissociant France et UE, ou dans une geste gaullienne – impossible, donc – démissionner) se prend une volée de bois vert et rouge, taxé d’irresponsable, de faire le jeu de… Et c’est reparti pour un tour de manège antifa ! Car ce n’est qu’un manège, un show, une mauvaise comédie. La démocratie, n’en déplaise à beaucoup, ne se résume pas à ce qui va dans le sens des idées autorisées. Régime exigeant car fragile, elle nécessite un corps citoyen cultivé et une probité des représentants du peuple… Qui a détruit la formation des citoyens ? Qui se sert de la France au lieu de servir la France ?

Au lendemain de la déflagration, outre les manifestations (émeutes) dans certaines grandes villes où on croit lutter contre la Bête immonde en pillant et en saccageant, la seule réponse politique au score historique du RN (32% des suffrages environ, arrivé en tête de toutes les régions et de 90% des communes) est de combattre les idées du RN… Le mépris. On va « faire de la pédagogie », expliquer au bon peuple ignorant qu’il se trompe, bref, on prend une nouvelle fois les gens pour des cons, on ignore, on méprise, on nie leur vécu, leurs souffrances, leurs aspirations. On ne me fera pas croire que la France est un pays de fachos, que le peuple français est fasciste. Le fascisme est mort avec son fondateur en 1945. La seule liste qui pourrait se réclamer d’un néo-fascisme, Forteresse Europe, obtient un score lilliputien. Pas de quoi fouetter un kouffar. Projet pour la France ? Il faut lutter contre les idées du RN. Projet pour l’Europe ? Il faut lutter contre les idées du RN. Plus la caste dirigeante a insulté Bardella, plus il a progressé. Devinez quoi ? On prend les mêmes et on recommence ! Les électeurs sont des cons qui ne comprennent rien à rien, faisons de la pédagogie, expliquons… Et voilà comment Bardella, qui gère pitoyablement son score historique, n’aura même pas besoin de mener campagne.

« L’antifascisme d’aujourd’hui, ou du moins ce qu’on appelle antifascisme, est soit naïf et stupide soit un pur prétexte de mauvaise foi. Il combat en effet, ou fait semblant de combattre, un phénomène mort et enterré, archéologique, qui ne peut plus faire peur à personne. C’est en quelque sorte un antifascisme de tout confort et de tout repos. Je suis profondément convaincu que le vrai fascisme est ce que les sociologues ont trop gentiment nommé la société de consommation. » – Pier Paolo Pasolini

Comme d’habitude, la droite et « l’extrême-droite », en position de force, se déchirent. La plus bête du monde, on vous l’a déjà dit. Quant à la gauche et « l’extrême-gauche », foin des querelles du passé, exit la question palestinienne, depuis le 9 juin, à Gaza tout va… On s’allie pour la gamelle. Le programme ? « on » verra, après les circos. Et après, les médias viennent chouiner sur la crise de la démocratie, du politique, de l’absence de confiance mâtinée de forte défiance vis-à-vis des « élites »… Mais ne se demandent jamais pourquoi ?

Si, par extraordinaire, le RN obtenait la majorité absolue à la chambre, que se passerait-il ? Comme chez nos voisins italiens, par exemple, quand un pays est endetté à cette hauteur, le créancier décide, quelque soit le résultat des urnes. L’administration fera de l’excès de zèle pour gêner la politique ; la présidence trainera à signer les décrets d’application des lois ; tous les contre-pouvoirs seront déployés pour freiner l’action du gouvernement. Au final, l’inertie bordélisée par la rue, et accroissement de la crise de confiance. Dépression démocratique qui n’est pas prête de finir.

In fine, que veulent, dans leur grande majorité, les Français ? Vivre de leur travail sans être rackettés par les impôts ; pouvoir vivre en sécurité partout sur le territoire ; être respectés dans leur histoire et leur modus vivendi ; mettre fin aux fraudes fiscales comme sociales ; retrouver des services publics efficaces (qui existaient avant d’être sciemment bousillés pour pouvoir dire que ça coûte cher, que ça ne fonctionne pas, et donc qu’il faut privatiser à des entreprises liées aux décisionnaires) ; retrouver la souveraineté chez eux, que des technocrates déconnectés et des financiers véreux (pléonasme) cessent de décider à leur place, ce qui signifie d’abord pour nos dirigeant d’arrêter de jouer avec la dette par démagogie, idéologie et incompétence (aucune circonstance atténuante). Ces aspirations sont, me semble-t-il, ni de droite, ni de gauche ; elles sont légitimes, elles sont de bon sens. Elles ne sont ni « populistes », ni « fascistes », ni « d’extrême-droite ». Et elles ne sont pas prêtes à trouver de réponses dans un pays où les « élites » se servent au lieu de servir. Le spectacle actuel en est la preuve factuelle, il suffit d’ouvrir les yeux, et de ne pas être de mauvaise foi.

Pour la première fois depuis 25 ans, je ne me suis pas déplacé pour voter. Voter nul pour gagner à tous les coups ne m’amuse plus. La confiance est durablement rompue, et la recréer ne sera pas une sinécure. Irais-je aux législatives ? Je me pose la question. À quoi bon ? Peu importe le résultat, qu’est-ce que ça changera ? J’en ai marre de voter contre. Je rêve d’hommes d’État avec un projet, une vision pour la France. Naïf que je suis, pauvre de moi. « Les intérêts gagnent toujours » (Philippe Muray). À suivre… ou pas.

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