Journal d'un caféïnomane insomniaque
jeudi avril 18th 2024

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P. 507 – Philippe Rubempré (coquetterie)

Cette histoire commence avec un simple cliché trouvé au hasard d’une de mes nombreuses lectures. Ayant besoin d’évasion, il me prit d’attaquer les quelques deux mille pages de la trilogie sudiste de Julien Green, noble académicien que je n’avais pas l’heur d’avoir déjà lu. Comme je palpai l’objet entre mes mains, le tournant et le retournant, l’examinant sous toutes ses coutures après en avoir dévoré le synopsis, cherchant si quelques lignes biographiques complèteraient d’une manière encourageante la maigre notice que je possédai quant à son auteur, je remarquai quelque papier ou carton en guise de signet. Curieux, je fis défiler les pages, la tranche du livre implorant les cieux, jusqu’à ce que l’intrus vienne s’échouer sur le sofa. Un cliché, oh surprise ! Une simple photographie en couleur, d’une composition fort simple, la moitié basse du cadre, savane au coeur de laquelle je distinguai deux êtres, étant séparée d’un ciel fumée de cigarette par une ligne d’arbres à l’horizon. Seule ligne verticale au quart gauche de la photographie un palmier tutoyant l’Etre suprême. Oubliée là par qui ? Je me souviens à présent avoir acquis cet ouvrage d’occasion, un bouquiniste d’une petite ville de province du Nord de la France. Ce souvenir rend le cliché d’autant plus intriguant, c’est un paysage caractéristique de l’Afrique orientale, une réclame pour le safari, Visit Kenya with your Massaï. De fait l’action appelle immédiatement une chasse au lion, les deux chasseurs sont de dos et avancent, la démarche prudente, le colonial (s’il n’en est pas un, le touriste y ressemble à s’y méprendre) à une distance respectueuse de son guide.

A quelque temps de là Aude m’invita à goûter la cuisine Taj Mahal du restaurant éponyme en compagnie d’un Colombien, de deux mères, d’une Marie-Laure et du plus irradieux des sourires que j’eus à contempler dans ma carrière de dandy faussement don juan. C’est l’Elisabeth de JG, celle-là même qui me séduisit dès l’incipit et ne me lâche encor pas. Il me faut la revoir c’est vital et pourtant de toutes les charmantes de ma compagnie d’un soir elle est la seule – est-ce un hasard ? – dont le prénom m’ait échappé sournoisement désarçonné par ce Sourire majuscule que je salue en minuscule. La cuisine était succulente, nos hôtes colbertistes bien qu’en échange d’une note d’un millier de pistoles ils nous offrirent apéritif, digestif et force bonne soirée merci revenez chez nous et consommez mes frères consommez !

Le lien avec la photo n’est pas, je vous le concède bien volontiers, évident ; sauf à considérer que le safari, si c’est bien de cela dont il s’agit, se déroule à l’orée du désert du Thar, et que notre pseudo Massaï n’est en réalité qu’un vieux sherpa indien brûlé par de longues années d’exposition au soleil brûlant et nu du sous-continent. De fait la chasse au lion se métamorphose en chasse au tigre, et même si cela ne vous semble pas crédible il faut pourtant que cela soit croyable, sinon quid du pouvoir des mots et des lettres ? O fortunatos nimium sua si bona norint agricolas ! comme l’aurait dit Triple-Patte citant le défunt Virgile…

Une photo intrigante plus un sourire désarmant – et désarmé – voilà ce qui fait l’intrigue de cette histoire. Bien peu me direz-vous, mais n’est-ce pas là le propre de l’exercice que de laissez à notre lecteur perdu et admiratif le plaisir incommensurable de laisser son vague-à-l’âme et son imagination écrire cette nouvelle ? Et c’est la nouvelle qui décrochera tous les prix, toutes les récompenses, une immense supercherie. En lisant ces quelques vers en prose vous êtes l’écrivain qui compose cette nouvelle, vous en contemplez le verbe et la déclinaison, l’accentuation et la conjugaison, la rime et le cru millésimé… O lecteur, que les muses t’inspirent la nouvelle la plus exquise qui soit, envoûtée du charme des mille et une nuits d’un sultan chamarré à la feuille de rose, que sans les cent dix pilules il te soit accordé de fantasmer ton rêve coloré, pourpre cardinalice, sinople flamboyant, à la croix de sable sur un fond d’or digne d’un connétable en bataille pour son Georges !

Eprouvez la langue, qu’elle soit de Chrétien de Troyes ou de Saladin, de Goethe ou de Cervantes, de Scott ou de Saikaku, de Manguel ou de… Tiens de Manguel, Alberto c’est bien. Il nous fait rêver en lisant, c’est à noter, c’est assez rare chez un écrivant, je devrais dire chez un écrivain, un qui de ses lectures extrait un roman des plus passionnants qui soient, le roman des livres, le roman de la littérature, le roman de la lecture, le ROMAN DE LA VIE !

Notre Massaï du Thar et son touriste avancent, le souvenir du sourire irradieux s’éloigne. Le temps ne fait rien à l’affaire… Au loin, le soleil couchant. The poor lonesome tourist safarise, son amour se gargarise des attentions d’un autre, loin, loin, loin de Paris est son mari. Qui va à la chasse perd sa place dit le dicton populaire. Que va trouver le compagnon en rentrant dans sa maison ? Sa femme et son amant, un de plus. La polyandrie est naturelle autant que la polygamie. Il l’a bien compris, n’en déplaise à sa jalousie.

Tout ça pour dire qu’un touriste et son guide progressent dans la nature, et que l’histoire est le fruit de l’imagination du lecteur…