Imposture et bizness
A force de parler de consommateurs et de marché à tout bout de champ, il faut bien que je m’attaque au business, au marché et à la culture du fric. La société de consommation, le marché et le business, ce grand machin qui forme un tout est le contraire absolu de l’Imposture. On ne peut plus à l’opposé. Et il est inutile de vous dire à quel point je hais, déteste, abhorre, suis horrifié, dépité, malmené, assassiné, dégoûté par ce machin !
L’économie de marché est le culte du réalisme. Le fric est nécessaire pour vivre, qui que l’on soit, où que l’on soit. La fameuse real-politik ! Moi-même quelque part je suis inféodé à cette dictature totalitaire, qui ne le serait ? Mais je ne la comprends pas ! Je la rejette, ou peut-être est-ce elle qui me rejette…
Comment faire pour s’en sortir ? La seule solution reste l’Imposture, et vous savez que mon choix s’est arrêté sur le Bovarysme, devenu depuis ma passion ultime, celle qui me fait vivre, celle à laquelle je m’accroche, et certainement celle qui me perdra, si elle ne me perd pas déjà. Pour fuir la vie dans le machin, je crèverai du Bovarysme, je crèverai Imposteur, j’en suis conscient et ne veut y rien changer.
Rien ne m’emmerde plus que les gens qui ne pensent et vivent que par et pour le pognon ! Ils n’ont aucun intérêt, ni humain, ni autre, ce ne sont que des fourmis obéissant à la reine CAC 40, joliment prénommée Laurence (devenue depuis Pierre – 30 novembre 2013). Les rois du consumérisme anesthésiant ! de l’apparence, du m’as-tu vu, de la superficialité (à ne pas confondre avec superfiscalité) contre la sagesse et la profondeur, de l’orgueil et de la vanité contre la modestie (j’ai personnellement un côté fier et orgueilleux assez développé, mea cuba, mea cuba, mea massimo cuba)…
Je vis dans mon monde mais ce n’est hélas pas le monde dans lequel je vis. « Si nous vivons sur la même planète, nous ne sommes décidément pas du même monde » aurait dit Bertrand C. (qu’il est politiquement correct de ne pas citer depuis un crime privé qui ne remet en rien son talent en cause, et c’est l’artiste engagé que j’admire auquel je fais référence ici. Le reste, c’est sa vie, je n’étais pas là, et je me garderai bien de le juger ou d’émettre une opinion). La société de consommation, la loi du plus fort, celle de la jungle, le loup et l’agneau, ne pas montrer ses faiblesses, être fort, compétent, puissant, parfait, je hais cette conception inhumaine de la société. L’être humain est constitué de forces et de faiblesses, et j’ai la faiblesse de croire que c’est un être sensible. Sensibilité qui dans notre mode de vie en société disparaît au profit d’un individualisme forcené guidé par l’appât du gain et la soif de pouvoir.
Peu de citoyens sont dérangés par ce mode de vie qui finalement profite au plus grand nombre. La compétition sportive au cœur du mouvement sociétal. Ce culte du sport, de la compétition me rappelle des souvenirs que je n’ai heureusement pas vécu, mais que d’aucun connaisse…
Alors pour les êtres de mon espèce, dangereux pour ce système de fonctionnement, il ne reste que l’Imposture. Le système me crèvera sans que je n’aie pu atteindre mon eldorado à moi, j’en ai bien peur. Cette mort lente me frappe tous les jours un peu plus. La question est dorénavant combien de temps vais-je tenir encore ?
Travailler plus pour gagner plus, les passions (sens commun du terme, ne rabaissons pas la pensée d’Hegel) des gens sont le fait de sujets longtemps travaillés. Je suis d’accord avec la seconde proposition de la phrase précédente, le seul hic, c’est si je rentre dans ce cadre comme un piston dans une bielle, l’arbre à cames est faussé à l’origine du fait que mes compétences sont inutiles au fonctionnement économique de la société, je suis donc inutile à l’entreprise, et rares sont les organismes publics ou privés qui s’attachent à mettre à l’honneur des matières dont l’utilité humaine est d’une noblesse totalement étrangère au consommateur anesthésié. Qu’est ce que je dois faire dirait un certain Foutriquet d’opérette ? Malheureusement je n’en sais rien et je me noie. Bordeaux, Marlboro, Hugo, San Antonio, Vivant Denon… Bovaryste un jour, Bovaryste toujours. Je refuse la réalité, enfermez moi en maison de repos si cela vous chante, pourvu qu’il y ait un jardin et une bibliothèque… Tout du moins, j’échapperais l’espace d’un internement à ce monde qui m’exaspère et contre lequel je ne peux rien. Une minorité de gosses de riches contre six milliards et demi d’être humains fidèles par nécessité ou par contrainte… Constat de désespoir et d’impuissance. Conscience que mon « problème » n’est qu’une lubie d’enfant gâté du monde dit développé, une utopie (ce qui d’ailleurs faux, ce n’en est pas une, comme vous le lirez après) pour laquelle je serais ridicule de me rendre malade. Et pourtant, pourtant je persiste et je signe.
Vous allez donc m’opposer que mon Imposture n’est qu’une utopie. Erreur, faute, argument fallacieux ! Une utopie suppose que l’on ait un espoir d’aboutissement, or je n’en ai absolument aucun. J’ai perdu de vue mon avenir et mes illusions. Ce que je ressens me concerne au premier chef, ce que je veux ne peut dans ce bas monde ne concerner au plus une infime minorité de personnes. Si j’osais, j’aurais la prétention de dire et d’affirmer qu’il s’agit uniquement de certains artistes (tous ne sont pas des imposteurs ; combien pensent carrière et pognon avant de penser art ? Inutile de citer de nom, vous en avez, j’en suis sûr, un au moins qui poins sur le bout de votre langue…).Le mal du siècle n’est pas, comme on peut l’entendre ici ou là, le mal de dos ou encore le terrorisme. Non, c’est le désenchantement essentiellement lié au mode de fonctionnement du monde et source de tous ses maux.
Ni utopie, ni idéologie communiste ou anticapitaliste. IMPOSTURE SUPREME IMPOSTURE SUBLIME IMPOSTURE MORTELLE IMPOSTURE !
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Récit, pamphlet, torchon, monologue, théâtre… Au lecteur espéré de lire en ce texte la forme qui convient le mieux à sa sensibilité.
Pour ma défense, je dirai simplement que c’est une « œuvre » (je vous avait prévenu, j’ai un penchant orgueilleux) sincère. Chacun est libre d’apprécier ou non, d’aimer ou non…
A ceux qui (miraculeusement) me tiendraient rigueur de mes écrits, je laisserai Pierre Auguste Caron de Beaumarchais leur répondre « que les sottises imprimées n’ont d’importance qu’aux lieux où l’on en gêne le cours ; que sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur ; et qu’il n’y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits ».
Compiègne, février – mai 2007.