Journal d'un caféïnomane insomniaque
vendredi novembre 22nd 2024

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L’Ancre de Miséricorde – Pierre Mac Orlan

In memoriam Jean-Claude G.

 

Mon cher Jean-Claude,

 

En bon Romain, je te tutoie. Tu m’as déjà pardonné cette familiarité il y a longtemps. Si je suis devenu celui que Philippe Rubempré tente d’être aujourd’hui, c’est en partie à toi que je le dois. À toi qui, professeur de collège, m’a fait découvrir Michel Peyramaure et sa Vallée des mammouths, Henri Troyat et La neige en deuil – le premier roman que j’ai lu d’une traite, celui qui m’a appris, jeune collégien, ce que le mot Honneur signifie – et parmi d’autres encore, L’Ancre de Miséricorde à bord de laquelle je m’évadais pendant les heures de lecture à voix haute en classe et dans mon lit, le soir, dans ma chambre heureusement sans télévision. Cette Ancre de Miséricorde qui m’a fait découvrir Mac Orlan, Pierre Dumarchey de son vrai nom, dont, adulte, j’ai pu apprécier les oeuvres noires et réalistes, ou encore son oeuvre sous pseudonyme, celle que Pompidou préféra oublier à l’heure de le décorer.

 

Pour toutes ses raisons, et d’autres encore que tu sais, je te dois plus que jamais je n’ai pu te rendre avant que le crabe ne t’expédie par delà le Styx… Les éditions Omnibus ont réédité récemment les romans maritimes de Pierre Mac Orlan. L’Ancre de Miséricorde y figure, bien entendu. Au coeur du recueil. Je me suis procuré le livre que j’ai relu avec un plaisir inchangé. Je te dédie donc cette chronique en modeste remerciement pour l’immense service – et bonheur – que tu m’as offert. Requiescat in pace.

***

Mac Orlan est un auteur qui a le don de vous immerger complètement dans l’univers au sein duquel il désire vous emmener. L’Ancre de Miséricorde n’échappe pas à cette règle. L’auteur maitrise à merveille les ambiances – géographiques, sociales, historiques – et les langages. Lire Mac Orlan relève de l’exercice de plongée en eaux profondes, et a posteriori, je vous confirme que le facteur peut sonner trois fois… en vain. En outre, Mac Orlan, s’il s’adresse à des lecteurs a priori adultes, n’en est pas moins accessibles aux adolescents, avec une exigeance de découverte et une soif d’aventure qui ne font que valoriser sa littérature.

L’Ancre de Miséricorde, un nom mystérieux qui fleure bon la marine à voiles… À Brest, dans cette fameuse rue de Siam immortalisée par Prévert, se tient la boutique du Shipchandler Jean-Sébastien Morgat, qui y vit en bonne entente avec son fils Yves-Marie, dit Petit Morgat, élève au collège militaire. Bon garçon, Yves-Marie collectionne les figurines de soldats sculptées et peintes à la perfection par Jean de la Sorgue, forçat qu’il croise à l’occasion de travaux de réfection des chaussées, et qu’il aborde avec la complicité d’un garde-chiourme peu regardant. Trois événements fondent cette histoire en se croisant : le fameux pirate Petit Radet que l’on croyait pendu en Angleterre serait de retour à Brest ; Jean de la Sorgue cherche à savoir quand et où grâce à l’intermédiaire de Petit Morgat pour lui demander d’acquitter une dette ; enfin, un mystérieux et charmant gentilhomme nommé Jérôme Burns apparaît dans la boutique du shipchandler et vampirise littéralement la curiosité et l’attention de Petit Morgat. Les ingrédients sont réunis, l’aventure peut commencer, et il vous faudra lire le roman…

L’ambiance est brestoise et début Louis XVI. On croise la chiourme, on fréquente les cafés, on boit du rhum, la marine est omniprésente, qu’elle soit royale ou représentée par ces gentilshommes de fortune qu’on ne baptise pas encore pirates… Autour de la figure mystérieuse de Petit Radet, Petit Morgat, brillant promis à l’école d’artillerie de Metz, quoi qu’il ne fut pas noble, se trouve plongé dans une aventure dont le sens de la vie, l’amour et la mort sont les questions essentielles. Le résultat est l’un des meilleurs cocktails aventuriers qu’il ne m’ait jamais été donné de lire. Je le dois à mon maître en lecture, et je ne l’oublie pas.

La lecture de L’Ancre de Miséricorde grandit son lecteur, bien plus que n’importe quel catéchisme ou cours de morale laïque. Merci Jean-Claude.

Chronique à retrouver sur le Salon Littéraire.