Édition augmentée par Dimitri Casali.
C’est toujours avec un plaisir nostalgique aux accents de madeleine de Proust que nous nous replongeons dans le Petit Lavisse ; ce fameux manuel qui a introduit tant de générations d’écoliers à l’Histoire de France en essayant, grâce au roman national, de leur inculquer des valeurs communes et l’amour de leur patrie au-delà de leurs différences d’origines ethniques, religieuses ou sociales. Bref, l’ambition de Lavisse était non seulement d’enseigner les rudiments de l’Histoire de France, mais aussi de préparer le terreau favorable à la formation de futurs citoyens responsables, conscients de leurs droits, certes, mais surtout de leurs devoirs. C’est sans doute la raison pour laquelle il est aujourd’hui tant décrié par ceux qui dénoncent les « historiens de garde » et le retour du roman national (ils n’hésitent pas à qualifier le travail de vulgarisation de l’amateur Loran Deutsch de « maurrassien » ou « quasi-maurrassien », ce qui est pour le moins imbécile. À croire que ceux là n’ont pas lu Maurras : quel rapport entre le trublion Deutsch et le nationalisme intégral, si ce n’est la volonté d’honnir ou décrédibiliser un amateur qui ose raconter l’Histoire à la manière du roman national – en outre sans prétendre être historien – par une espèce de reductio ad hitlerum light, une reductio ad maurrassum ?). Le Petit Lavisse est pareillement décrédibilisé par les tenants de la société inclusive ardemment désirée par Monsieur Thierry Tuot, ci-devant conseiller d’État à cent lieues du moindre début d’idée de la réalité qu’il appelle de ses voeux (la mort des civilisations et des cultures recyclées en un gloubi-boulga ultra-individualiste et ultra-violent, un retour in fine à un état sauvage, en version 2.0).
Le Petit Lavisse est un manuel s’adressant aux écoliers (donc pas de grandes analyses transversales, d’histoire thématique comme l’histoire économique ou l’histoire du costume) pour leur faire découvrir les grandes étapes de la construction de leur pays. Le génie de Lavisse, c’est justement le roman national, ce roman qui permet que « l’Histoire ne s’apprend pas par coeur, (mais qu’elle) s’apprend par le coeur », et qui offre une clé aux futurs citoyens français de toutes origines « d’aimer la France parce que la nature l’a faite belle, et parce que son histoire l’a faite grande ». Pour faciliter l’apprentissage et donner aux jeunes des repères simples (que la poursuite de leurs études permet de relativiser, d’approfondir et de remettre en perspective avec la maturité acquise au fil des années), Lavisse adopte un ordre strictement chronologique et joue sur les figures charismatiques et les grands personnages de l’Histoire de France, quitte à créer des légendes ou des héros. Permettant ainsi à l’écolier de s’identifier, il lui offre une base sommaire et ludique au parfum d’aventure intrigant, mais efficace pour acquérir par la suite les leçons d’Histoire plus étoffées, nécessaires à la formation de tout citoyen responsable.
Dimitri Casali, inlassable passeur d’Histoire, ancien professeur de collège dans les territoires perdus de la République, prend la suite de Lavisse, décédé en 1922. Il relève ce défi honorablement, même si l’exercice est différent, le public ayant évolué et pas nécessairement de manière positive. Il est toutefois regrettable d’avoir laissé passer cette énorme coquille page 186 : « Le Général de Gaulle, qui avait réussi à rejoindre l’Angleterre, était l’un deux » (sic !). Écrire « l’un d’eux » ne coûte pas plus cher et ne jure pas aux yeux du lecteur averti… Les chapitres composés par Casali n’ont pas le charme délicieusement désuet de la plume de Lavisse, o tempora, o mores, mais à sa décharge, le changement de public, l’évolution des élèves (en comportement et en mentalité), ainsi que l’accélération de l’Histoire au Vingtième Siècle ne facilitent pas la tâche : sujets délicats, importante documentation, pléthore d’acteurs et d’événements, développement exponentiel de la mondialisation… Être concis et s’adresser à des écoliers ouverts à tous vents télévisuels ou virtuels en couvrant l’essentiel de la période est une véritable gageure dont nous pouvons dire que Casali l’a relevée non sans un certain brio.
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