Dans le Paris de 2080, en partie venisifié en raison du réchauffement climatique, l’individualisme égotique a triomphé… et Big Brother également. Chacun sa marque, son appartenance à sa caste. Dans cet univers ultra-violent, la pornographie la plus bestiale et consumériste s’affiche partout dans les rues. Les flics ne se cachent plus pour passer à tabac les opposants dans la rue, sans provoquer la moindre manifestation d’indignation, pas même de désapprobation. C’est dans ce contexte que notre héros est missionné par une voix, symbolisée par un aigle planant sur Paris, pour tuer son contrôleur…
Eberoni signe ici une fable graphique plutôt glaçante. Sa maîtrise de la couleur et des ambiances, tantôt nappe de pollution, tantôt érotisme froid, touches de pornographie crue et d’ultra-violence voilée, rend admirablement compte de ce que notre société de consommation égoïste et vide de sens est susceptible de produire dans un avenir peut-être pas si éloigné. Le Samouraï d’Eberoni n’est pas sans rappeler Delon dans l’excellent film de Jean-Pierre Melville, tant par son atmosphère gelée que dans son pessimisme.
Techniquement et artistiquement, Eberoni fait preuve de prouesse. Les textes, empreints de références poétiques à Rimbaud ou Baudelaire notamment, sont parcimonieux et d’une grande maîtrise littéraire (autre point commun avec le Samouraï de Melville).
En signant cette fable graphique, littéraire et désespérée, Eberoni confirme sa place au Panthéon des grands de la bande-dessinée d’auteur. Puisse sa fable n’être pas prémonitoire, même s’il est raisonnable d’en douter au vu de la tournure que prennent les événements… Du moins Eberoni nous permet de réfléchir à ce que nous sommes, et à ce que nous voulons devenir… ou pas.
Philippe Rubempré
Eberoni, Samouraï, Futuropolis, 2010, 60 pages, 16 euros
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