Adapté du roman de Georges Simenon, Le Président est un film d’Henri Verneuil dont certaines répliques du dialogue signé Audiard sont devenues cultes. C’est également un grand film sur la Politique et sur la République française – tout du moins sur ce qu’elles devraient être en terme de tenue -, d’une actualité criante malgré sa cinquantaine bien tassée.
Jean Gabin y incarne un Président du Conseil (équivalent sous les Troisième et Quatrième Républiques du Premier Ministre sous la Cinquième) à la fois ambitieux (pour la France) et intransigeant (avec l’intérêt supérieur de la Nation), droit dans ses bottes jusqu’à la caricature, grand orateur maniant avec délices ironie mordante et répliques cinglantes. Bref, un ovni politique tel qu’il en a sans doute jamais existé (Clémenceau, de Gaulle ou Mendès s’en sont approchés, mais chacun d’eux porte son lot de croix plus ou moins glorieuses), et qui ne peut assurément pas exister dans notre classe politique actuelle ni dans notre démocratie de papier (la démocratie réelle est confisquée par les énarques, technocrates et financiers sur lesquels le vote n’a aucun impact, puisqu’ils ne sont pas concernés par l’élection – et ce bien qu’ils détiennent et exercent la réalité du pouvoir politique et économique à l’heure où j’écris cette chronique).
Le Président Émile Beaufort, reclus en sa gentilhommière normande, dicte ses mémoires politiques à mademoiselle Millerand (Renée Faure, plus vraie que nature), sa secrétaire. Grâce à un jeu de retours en arrière, le film montre parfaitement l’infiltration des cabinets ministériels par la banque et le patronat mondialisé (Bernard Blier, très crédible en directeur de cabinet indélicat puis en meneur de l’opposition à Beaufort), leur aptitude à saboter tout projet au service de l’intérêt général dès lors que celui-ci va à l’encontre de leur intérêt privé sonnant et trébuchant.
Le discours à la Chambre de Gabin-Beaufort sur l’Europe s’érige en apothéose du film.
Véritable morceau de bravoure de près de vingt minutes, son analyse de l’Europe n’a pas pris une ride (et c’est inquiétant), patronymes mis à part. L’Europe du patronat et de la finance combattue par Beaufort aura sa tête, et de fait a gagné. Nous y sommes plongé jusqu’au cou, baignant dans le marécage des problèmes dénoncés par anticipation par Beaufort.
Ce film admirable est superbement servi par des interprètes d’une qualité sûre. Outre Gabin et Blier à contre-emploi, nous retrouvons Louis Seigner en directeur de la Banque de France et Henri Crémieux en Ministre des Finances, ou encore Alfred Adam, touchant en chauffeur confident. Le Président donne une haute idée de la Politique et de ce qu’elle devrait être. Il est à craindre que cette hauteur de vue et cette abnégation au service de la France, de son peuple et de l’intérêt supérieur de la Nation (qui est l’intérêt général) ne soit qu’une utopie cinématographique ou littéraire, ou un voeu pieux de briscard politicien adepte des aphorismes pasquaïens (« les promesses n’engagent que ceux qui les croient »). Cependant, nous pouvons, en regardant Le Président, espérer en ce qui semble impossible en l’état actuel de la France et de ses élites intellectuelles, politiques, économiques et financières.
Philippe Rubempré
Le Président, réalisation Henri Verneuil, France, 1961, avec Jean Gabin, Bernard Blier, Renée Faure, Henri Crémieux, Louis Seigner, Alfred Adam… D’après le roman de Geroges Simenon, adaptation Henri Verneuil et Michel Audiard, dialogue de Michel Audiard. Réédition DVD René Chateau / TF1 vidéos, 1h50, Noir & Blanc, format 16/9 compatible 4/3, format original 1.66, tout public.