Journal d'un caféïnomane insomniaque
samedi novembre 23rd 2024

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Traité du fétichisme à l’usage des jeunes générations – Jean Streff

fétichisme

Chronique à retrouver sur le Salon Littéraire.

    Ceci n’est pas un livre fétichiste ! Cette somme littéraire et érudite, véritable nomenclature des fétichismes humains, ne comprend d’autre iconographie que la reproduction sur fond noir en couverture de La philosophie dans le boudoir de René Magritte, inspirée par le Divin Marquis que vous connaissez. Si l’auteur, Jean Streff, se revendique lui-même pluri-fétichiste dans une préface intitulée « Addiction », son ouvrage ne constitue pas pour autant une autobiographie pornographique destinée à un « public averti » (comme on l’appose sur tout ce qui pourrait choquer nos pauvres et chastes âmes de consommateurs zombies). Ce livre fourmille d’anecdotes, vécues ou relatées par l’auteur, des pratiquants (dont nombre de personnalités de tous horizons) ou par des psychiatres, psychanalystes et autres diafoirus s’étant penchés sur le côté obscur de la force et la face cachée de la lune…

Le traité s’ouvre sur un confiteor dans lequel Streff avoue son a priori pour le moins bienveillant quant à ce que ceux qui se mêlent de ce qui ne les regarde pas appelle « perversion », sans distinguo, et  avec une condamnation morale d’autant plus injustifiée (ce ne sont pas leurs oignons, dirait-on vulgairement) qu’elle s’avère inefficace. Certaines formes de fétichisme peuvent de facto virer à la perversion criminelle dès que le cérébral s’efface et que l’action se met en branle (si je puis dire). Il est à noter que dans ces cas-là, dont certains ont fait encore récemment la une des médias (Luka Rocco Magnotta en 2012, par exemple), l’imagination humaine est sans limites…

S’ensuit un introit (on appréciera le lexique liturgique à sa juste valeur) proposant une espèce de précis d’histoire universelle du fétichisme, de la littérature aux couloirs de la Mondaine, de la psychiatrie aux beaux-arts. N’oublions pas la vocation informative de ce traité (je n’ose pas écrire pédagogique) destiné aux jeunes générations – celles pour lesquelles la pornographie appartient au quotidien ; victimes prises en étau d’un côté par cette vulgarité vide-couilles ( je n’ai pas trouvé d’équivalent féminin à cette expression, qui n’est en outre pas un jugement moral, juste une constatation objective) rabaissant l’humain à sa bestialité la plus crue, et de l’autre par une nouvelle pudibonderie réduisant la différence des sexes et la sexualisation des corps à une domination machiste. Ce double héritage de la prétendue révolution sexuelle post-Mai 1968 n’a pas réussi à étouffer la morale sexuelle religieuse (monothéïste) qui fait un retour sur scène particulièrement violent et de plus en plus visible depuis la chute du Mur de Berlin (est-il besoin de préciser que je ne considère pas comme « violence » ou « atteinte à la liberté artistique ou de création » les prières de certains en réponse à ce qu’ils considèrent comme des blasphèmes ou les attaques d’autres devant la justice ; c’est le jeu de la démocratie, et je ne hurlerai pas au loup fasciste ou intégriste avec les sectateurs de la dérision officielle).

Pour la plupart, ces jeunes générations auxquelles le traité est dédié ignorent tout de l’érotisme, lequel ne se confond pas avec la pornographie, même s’il peut en user (l’inverse n’existe pas). La pornographie n’est qu’un sport vulgaire, de la performance en résonance avec l’air du temps post-capitaliste, de la technique. Rien d’autre. Exciter le gogo, le faire payer, jouir vite, de sorte qu’il repaye pour re-jouir (c’est le même principe essentiel que le Française des Jeux, les casinos, machines à sous et autres jeux d’argent). L’érotisme, quant à lui, appelle le conflit, la différence, la contrainte, l’attente, la culture, la connaissance du corps. Sans gêne, pas de plaisir ; sans entraves, point de jouissance. Pas de frein dans la pornographie, tout est facile et transparent : cette baise est un sport pour adulte montré en gros plan sous une lumière aussi crue et indigente que les scenarii, le langage idoine et la sensibilité des acteurs et consommateurs de ce business.  Là où la pornographie à pour objectif de faire jouir vite pour vendre plus, l’érotisme revendique le mystère et le cérémonial. « Le meilleur moment de l’amour, c’est quand on monte les escaliers » disait à juste titre Clémenceau.

Cette longue digression me permet de situer ce Traité sur le fétichisme à l’usage des jeunes générations. Cette somme relève de l’érotisme, à la fois ouvrage scientifique et guide culturel. S’attelant à offrir aux jeunes générations un de rerum natura fétichiste (en référence au de rerum natura de Lucrèce, traité sur la nature des choses), Jean Streff décline son étude en commençant par les différents « morceaux » du corps, puis viennent les corps différents, les cinq sens, les liquides corporels, tous objets de fétichismes ; l’ouvrage se poursuit avec les accessoires et autres enveloppes corporelles extérieurs. De la naissance du fétichisme chez l’enfant encore jeune à la mort et au fétichisme morbide, l’auteur propose à la fois une histoire, un traité médical et une formidable médiathèque sur cet érotisme si particulier (pas moins de quinze pages de bibliographie, revus, filmographie… à la fin du volume). L’ensemble constitue un traité littéraire sur le fétichisme, érotisme secret, caché, s’épanouissant dans les alcôves depuis que Marthe Richard ne tolère plus sa pratique dans les lieux autrefois dédiés à cela par le corps social.

Par son sujet, ce livre est éminemment érotique ; il ne s’agit toutefois pas le moins du monde de cette littérature qui ne se consomme qu’à une main (de préférence la gauche, parait-il…). C’est en revanche un formidable apéritif qui ouvre l’appétit quant à cette curiosa universelle…

Philippe Rubempré

Jean Streff, Traité du fétichisme à l’usage des jeunes générations, Denoël, 2005, 541 pages, 26 euros