Journal d'un caféïnomane insomniaque
jeudi novembre 21st 2024

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Les Mémoires de Joss B. – Thomas Morales

Chronique à retrouver sur le Salon Littéraire.

mémoires joss b    Vrai faux roman noir relatant les affaires les plus fameuses de Joss Beaumont, ex-journaliste devenu privé, Les Mémoires de Joss B. sont surtout le roman de la nostalgie. Ce Philip Marlowe parisien croise une galerie de personnages truculents que l’on imagine volontiers interprétés par les acteurs fétiches des films de Michel Audiard.

Joss B., la cinquantaine flasque, amateur de voitures américaines et de variété française à l’heure de l’écologisme et de la soit-disant musique dite « techno » ou « électro », enquête plus ou moins à contre-coeur sur les cas sélectionnés par son assistante, la belle Samira. Avec l’aide du journaliste Merlin, tout un poème, et du commissaire Tabourin, devenu selon ses propres termes auxiliaire de médias plus qu’auxiliaire de justice, Beaumont est amené à fouiner sur les morts d’un industriel du béton mexicain et d’un représentant d’une firme automobile chinoise, tous deux amateurs de chair fraiche payable en monnaie sonnante et trébuchante. Affaires sans doutes liées… Puis, il s’intéresse aux décès de plusieurs journalistes n’ayant pas retenus l’attention de la maréchaussée et l’affectant personnellement. En bon privé dans la tradition du genre, ses enquêtes culbutent une vie sentimentale complexe.

Joss B. parait s’être trompé d’époque. Véritable anachronisme du début du XXIe Siècle, sa mentalité et ses goût le situent plutôt dans les années 1960-1970. Nostalgique à l’heure de la tabula rasa. Thomas Morales prouve avec ce roman son talent. Il a l’art de saisir l’âme du temps et celle de son lecteur ; il incarne la nostalgie d’une époque, d’un cinéma, d’une musique, de mots, aujourd’hui révolue, si ce n’est diabolisée. Qui emploie encore les mots margoulin, gougnafier ou rastaquouère ? Les premiers sont discriminants vis-à-vis de la vulgate sans vocabulaire issue de quarante ans de pédagogisme scolaire ; le dernier est considéré comme raciste, ce qu’il n’est pas dans le contexte du roman (mais la police politico-médiatique de l’Empire du Bien ne s’arrête pas à ce genre de détail). La nostalgie chez Morales n’est pas dénuée d’humour, politesse du désespoir comme on dit, ni de moments heureux. Elle s’inscrit dans une vision lucide de notre bas monde, que reflète à merveille cette citation à méditer, avec laquelle je me sens en parfaite symbiose :

« Les gens qui ont beaucoup lu, appris, sont inaptes à la réussite professionnelle. La lecture leur a ouvert les yeux sur les atrocités du monde et leur a coupé toute initiatives ou ambitions personnelles. Ils n’ont pas assez d’espoir ou d’inconscience  pour faire des choses, entreprendre, créer. Ils savent que toute gesticulation est dérisoire et futile.« 

Philippe Rubempré

Thomas Morales, Les Mémoires de Joss B., Éditions du Rocher, 2015, 250 pages, 18,50 euros