Journal d'un caféïnomane insomniaque
vendredi mars 29th 2024

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Rostropovitch, Gainsbourg et Dieu – Jules Roy

R,G et Dieu    Vézelay est une commune bourguignonne fameuse ! Qui n’a admiré sa colline du haut de laquelle la basilique Sainte-Marie-Madeleine, point de départ d’une des routes de Compostelle et classée au Patrimoine de l’UNESCO, domine les environs. Toutefois, l’architecture exceptionnelle, l’Esprit qui y flotte et la proximité des grands vins de Bourgogne dissimulent d’autres réalités. Ainsi, Vézelay est la commune au sein de laquelle l’écrivain Jules Roy a élu domicile jusqu’à son décès survenu en 2000. Cet ancien colonel, ami de Cioran, habitait juste à côté de l’église, dans la ville haute. Vézelay a reçu en outre la visite d’autres personnalités des arts et lettres.

À la fin de sa vie, Serge Gainsbourg a longuement séjourné dans la ville basse, sans jamais oser (?) monter à la basilique, ainsi que le raconte Roy. Il a même offert le feu d’artifice de la Saint-Sylvestre 1990 aux habitants de Saint-Père-sous-Vézelay (la ville basse). Mistlav Rostropovitch, quant à lui, est venu y enregistrer les Suites pour violoncelle seul de Jean-Sébastien Bach en janvier – février 1991, après avoir effectué un repérage fin 1990.

Jules Roy nous livre ici le récit du séjour de Rostropovitch à Vézelay. Mais cela ne s’arrête pas au roman d’un enregistrement in situ… Roy délivre un récit écrit d’une plume magistrale, un texte profond qui appelle ses souvenirs et remonte au nez de scène ses doutes enfouis, le tout sur fond de première guerre du Golfe. La narration du séjour du musicien russe se métamorphose ainsi en réflexion sur Dieu, la foi, Son existence (Cioran, qui ne croyait pas, disait que « s’il y a quelqu’un qui doit tout à Bach, c’est bien Dieu« ) et sur la guerre, Roy se remémorant, en écho aux bombardements du Moyen-Orient, avoir lâché ses tapis de bombes sur Leipzig, la ville de Bach…

Récit étrange et passionnant, Rostropovitch, Gainsbourg et Dieu met en scène le prince des violoncellistes à la foi chevillée à l’instrument, toujours d’une extrême courtoisie, et le provocateur athée, juif d’origine russe auquel nous devons quelques-unes des plus belles chansons du siècle dernier. L’auteur est présent physiquement, il est le « je », et par le souffle qu’il donne à son texte à la fois par ses questionnements intimes et universels, et par sa dimension littéraire.

Philippe Rubempré

Jules Roy, Rostropovitch, Gainsbourg et Dieu, Albin Michel, 1992, 182 pages, prix selon bouquiniste.