Journal d'un caféïnomane insomniaque
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Petite histoire de l’Érotisme dans la BD – Henri Filippini

pte hist erotisme bd    Publiée en 1988, oeuvre d’un érudit en la matière, Henri Filippini, bien connu des bédéphiles érotomanes ou non, cette Petite histoire de l’Érotisme dans la BD retrace l’aventure éditoriale de la BD pour adultes des sages débuts d’avant-guerre aux polissonnes années 1980, de la clandestinité des Tijuana bibles à l’audace d’Alex Varenne ou de Serpieri.

Auteur plus tard d’un dictionnaire de la BD érotique de référence publié par La Musardine et régulièrement réédité avec mise à jour, Henri Filippini offre un propos clair et agréable à lire sans sacrifier l’exigence intellectuelle. Richement illustré, et pour cause, ce précis s’avère être une histoire raisonnée et critique de l’érotisme en bande-dessinée, véritable nomenclature d’auteurs, oeuvres et publications consacrés à la licence dans le neuvième art. Une très belle manière de découvrir ou redécouvrir nombre de dessinateurs talentueux, quoique catalogués sulfureux par les âmes prudes, et une production qui, si elle n’est pas épargnée par le bas de gamme et le « commercial », se révèle souvent soignée. Les techniques utilisées sont variées, du noir et blanc parfaitement maitrisé par Magnus à l’hyper-réalisme d’un JC Clayes. Contrairement à une idée reçue, les scénarii sont la plupart du temps travaillés (à l’exception de la production masturbatoire destinée aux sex-shops) comme l’illustre remarquablement Marie-Gabrielle de Sainte-Eutrope de Georges Pichard.

Cette Petite histoire de l’Érotisme dans la BD est aussi un ouvrage politique au sens noble du terme. Dédié par Henri Filippini « à la liberté d’expression« , il s’ouvre sur une préface aux petits oignons signée par l’immense Georges Pichard, maître français au trait unique. Ce texte qui revendique la liberté d’expression, de création et de lecture démontre avec humeur et humour qu’en la matière, l’État comme les religions, la morale ou la protection de l’enfance ne sont que des prétextes à censure imposés par une autorité prétendument légitime au nom du Bien. Le libre-arbitre de l’individu est de fait complètement nié. L’Empire du Bien sait ce qui est bon ou non pour vous, il le sait mieux que vous et vous l’imposera malgré vous si ce n’est contre vous. C’est sans doute plus relatif aujourd’hui pour l’érotisme, mais d’une actualité Ô combien criante pour d’autres plaisirs terrestres tels que le tabac ou l’alcool, néfaste pour la santé comme chacun le sait, mais pas autant que la connerie de ceux qui veulent les prohiber. Vivre tue. Heureusement pour ces derniers qu’ils l’ignorent, ils en mourraient.

Pour en revenir à nos pin-ups et comme le disait le regretté Jean-Jacques Pauvert, « le censeur est au fond celui qui ne croit ni aux hommes, ni à l’éducation, ni surtout à lui-même. » Il en est de même pour l’hygiéniste moralisateur de l’Empire du Bien.

Philippe Rubempré

Henri Filippini, Petite histoire de l’Érotisme dans la BD, Yes Company, 1988, 129 p., prix selon bouquiniste