Siné, dessinateur anarchiste, provocateur sans limites, réputé antisémite (nous sommes convaincu qu’il ne l’était pas), antimilitariste, anti flics, anticapitaliste, anti pub, bouffeur de curés, de rabbins, d’imams et de pasteurs, chieur dans les bégonias de Bobonne, amoureux de ses chats et de sa femme, Siné était contre, tout contre… Il n’a jamais fait l’unanimité ; sujet clivant, comme on dirait de nos tristes jours. Pourquoi chroniquer Siné, dont tout chez lui, ou presque, apparaît à l’opposé des vertus célébrées dans ces pages ? Il arrive comme une couille dans le pâté, c’est assez urticant ! Eh bien tout simplement car Siné était un Homme Libre. Libre et extrêmement talentueux. Son Outrance (ses outrances?) serait ridicule, sinon. Libre, entier, se moquant de ce qu’on pense et dit de lui. Siné est Libre, c’est pourquoi il mérite d’être salué, quoi qu’on en pense par ailleurs et quels que soient les (très) nombreux désaccords que nous partageons.
Son Journal pré-posthume, tenu en 2012-2013 alors qu’il soignait une leucémie foudroyante, est une bonne entrée dans son œuvre. On y retrouve sa plume corrosive, ses dessins au vitriol (et ceux de collègues adressés en soutien moral), ses règlements de compte à froid avec ses ennemis (qui ne sont pas toujours les nôtres) – Siné a la rancune tenace et la plume assassine. Son journal est celui d’un amoureux de la vie et des chats, dans un combat loin d’être gagné d’avance. Son courage dans l’épreuve physique et morale que constitue la maladie ET son traitement atomique suscite le respect et, disons-le, une forme d’admiration. Siné n’a cessé de dessiner, chroniquer, éditorialiser, écrire pendant son séjour à Avicenne. Leucémie 0 – Siné 1. Elle ne fera pas passer l’arme à gauche à cet antimilitariste !
Drôle, mordant et émouvant, libre et insoumis envers et contre tout, Siné illustre parfaitement l’insoumission selon son ennemi idéologique Dominique Venner : « Exister, c’est combattre ce qui me nie. Être un insoumis (…) cela signifie être à soi-même sa propre norme par fidélité à une norme supérieure. S’en tenir à soi devant le néant. Veiller à ne jamais guérir de sa jeunesse. Préférer se mettre le monde à dos que se mettre à plat ventre. » À ce titre, Siné était un Homme d’Honneur, vertu qu’il ne célébrait guère ; à ce titre, il mérite d’être salué. Comme il aimait à le dire, « Mourir ? Plutôt crever ! »
Philippe Rubempré
Siné, Journal pré-posthume, Le Cherche-Midi, 2013, 96 p.