Longtemps j’ai cru qu’Autant en emporte le vent n’était qu’une histoire d’amour à l’eau de rose sur fond de Guerre de Sécession et de « M’ame Sca’lett »… Un truc de bonnes femmes, en somme. Eh bien, force est de le reconnaître, j’ai tout faux ! J’ai commencé à le lire par hasard début juillet, je ne l’ai pas lâché. Je dois même dire que c’est un des romans qui m’a le plus pénétré dans mes lectures de ces dernières années. Roman total – la vie, la mort, l’amour, la guerre, l’argent – humain, désespérément humain, aux caractères bien campés et à portée universelle (ouvrons une parenthèse : je jugeai a priori ridicule la polémique woke sur l’œuvre et son adaptation cinématographique ; de fait, cette polémique est ridicule, vaine, mesquine et infondée. Fin de la parenthèse).
Autant en emporte le vent est une tragédie avec au moins deux degrés de lecture, la tragédie personnelle de son héroïne Scarlett O’Hara, et la tragédie de la Confédération (véritable civilisation singulière dans la jeune Amérique du XIXe siècle – cf Le Blanc soleil des vaincus, de Dominique Venner1, qui en retrace l’histoire avec une sympathie avouée et une honnêteté intellectuelle qui fait défaut à bien des ouvrages historiques prenant fait et cause pour le vainqueur tout en revendiquant l’objectivité et la scientificité). À travers le parcours de Scarlett, Margaret Mitchell se livre à une sorte d’autopsie du Dixie Land et tout à la fois, de part ses origines, à une introspection civilisationnelle. Roman adoptant un point de vue, donc subjectif, il m’apparaît cependant largement moins caricatural que (la très bonne) Case de l’Oncle Tom d’Harriet Beecher-Stowe, roman à visée ouvertement politique écrit in situ – quand la fresque de Margaret Mitchell a été composée dans les années 1930.
De quoi s’agit-il ? L’histoire débute aux prémices de la Guerre de Sécession. Scarlett O’Hara, adolescente de seize ans au caractère bien trempé, aime Ashley Wilkes, quand elle découvre qu’il est promis à Mélanie Hamilton. L’explication qui s’ensuit avec Ashley est surprise par un homme à la réputation détestable, Rhett Butler, qui ne cessera de réapparaître dans la vie de Scarlett, laquelle finit par dépit et/ou par vengeance, par épouser Charles, le frère de Mélanie. Ce dernier disparaît, dans des conditions que vous lirez, dès le début du conflit, laissant sa jeune épouse enceinte, veillée par Mama, « négresse » déjà au service de sa mère, forte personnalité et phare de ce roman à bien des égards. Toute cette saga se déroule sur fond de Guerre de Sécession – opposant les états du Nord abolitionnistes à ceux du Sud réunis en Confédération, dont l’économie de plantation est fondée sur l’Institution, l’esclavage, lequel traduit une diversité de situations au sein des populations serviles et dans les attitudes à leur endroit – puis se poursuit sur fond de « reconstruction ».
Si la sympathie de Margaret Mitchell va de manière évidente aux Confédérés, en aucune façon ce roman n’est une défense de l’esclavage ou une justification du racisme, ou que sais-je encore (la bêtise woke a ses raisons que la raison ne connaît point)… Il offre cependant un contrepoint à la littérature générale sur le sujet. Le fameux Vae victis attribué à Brennus est un invariant de la nature humaine… Autant en emporte le vent est un roman vivant dans le sens où les personnages intègrent le spectre des nuances qui fondent la diversité humaine. En aucun cas il ne met en scène des « bons » absolus (qui seraient ici les Confédérés) face à des « méchants » définitifs (en l’occurrence les Yankees).
La figure charismatique autant qu’insupportable de Scarlett O’Hara offre à Margaret Mitchell le prétexte au roman de la Guerre de Sécession vue du Sud, avec toute la mesure dont est capable un romancier talentueux et digne de ce nom, un écrivain, peu importe ses opinions politiques, options philosophiques ou croyances religieuses. Ce qui fait d’Autant en emporte le vent un roman à portée universelle, traitant de l’essentiel de la vie des Hommes : la vie, la mort, l’amour, l’amitié, la guerre, l’argent, la civilisation…
Philippe Rubempré
Margaret Mitchell, Autant en emporte le vent, trad. Pierre-François Caillé, (Gallimard, 1938), Le Livre de Poche, 1963, 2 tomes (692 et 696 p.).
1Dominique Venner, Le Blanc soleil des vaincus, Via Romana, 2015, préface d’Alain de Benoist.