Contrecœur réunit quelques « chroniques d’une France sans lettres », composées par Pierre Mari entre mai 2011 et août 2020. L’écrivain y martèle à chaque instant l’exigence littéraire (et esthétique) qui n’est plus dans la France contemporaine – ce qui désole quiconque a conscience du caractère profondément littéraire qui fut celui de la France jusqu’au siècle dernier encore. Généreux dans ses admirations (quelques très belles pages sur Flaubert, notamment), c’est toutefois quand il éreinte les fausses gloires de l’époque (Carrère, Darrieussecq, entre autres) que Pierre Mari s’avère le plus jouissif à la lecture – je ne peux m’empêcher d’avoir une pensée pour une basse-cour dindesque bien rôtie pour quelques hivers rigoureux…
Il n’y a aucune jalousie, pas plus que de curiosité malsaine ou de méchanceté gratuite à se réjouir des critiques acerbes de Pierre Mari, justement car il réhabilite le travail de critique littéraire (qui, est-il besoin de le rappeler, n’est pas le mien au fil de ces pages), devenu ces dernières décennies copinage à but lucratif ou moralinisateur, hélas. La littérature ne peut être qu’aristocratique, comme l’art, comme la beauté. Rien de plus inégalitaire sur cette basse terre. On admire ce qui nous dépasse et nous transcende, pas le vulgum pecus… À démocratiser la culture, on a tué l’art et la beauté au profit du divertissement abrutissant et de la laideur quotidienne. On a démocratisé (qui peut être contre la démocratie, l’accès à la « culture pour tous »?) au nom des sacro-saints goûts et couleurs, qui voudraient que tout se vaut. Or, si tout se vaut, rien n’a de valeur. L’égalité n’existant qu’en mathématiques ou sur un plan juridique nécessairement discriminatoire et circonstancié, elle n’est jamais une réalité ontologique. L’axiome égalitaire appliqué aux arts et aux lettres est donc fallacieux dès l’origine.
Jules Verne, écrivain cher à mon cœur depuis mon enfance, l’écrivait à sa manière en 1877 à son éditeur Hetzel :
« […] dans l’échelle littéraire, le roman d’aventures est moins haut placé que le roman de mœurs. Balzac est supérieur à Dumas père ne serait-ce que par le genre. […] Je crois que, d’une façon générale et question de forme mise à part, l’étude du cœur humain est plus littéraire que les romans d’aventures. »
Est-ce à dire qu’Alexandre Dumas père est un écrivaillon ? Qu’aucun roman d’aventures littéraire n’a jamais été écrit ? Je ne le crois pas. Il existe simplement une hiérarchie forgée sur l’enclume des siècles, au fil du combat vital pour la beauté et la transcendance (bref, pour les arts : littérature, peinture, musique…) ; hiérarchie que ne saurait remettre en question un quelconque plumitif de Libé ou d’ailleurs décrétant ex nihilo que le slam vaut Verlaine ou mettant sur un même plan Jul et Mozart…
Les colères et admirations de Pierre Mari méritent de s’y attarder et de les méditer. L’écrivain et critique a bien cerné le drame de notre époque, qui n’en finit pas de virer au mélo sirupeux et indigeste. Armé de sa plume du meilleur acier, Mari nous ouvre les yeux, et nous en redemandons !
Philippe Rubempré
Pierre Mari, Contrecœur, éditions La Nouvelle Librairie, novembre 2021, 282p.