Il faut saluer ici le formidable travail d’honnêteté intellectuelle produit par Driss Ghali sur la colonisation française, ses origines, ses réalités multiformes, ses conséquences, ainsi que le courage de son éditeur. En effet, un tel ouvrage n’est, je crois, peut-être à tort, plus possible dans une Université française sacrifiée au gauchisme culturel et gangrenée par le wokisme. Ce mouvement révisionniste revenu en boomerang d’Outre-Atlantique prétend réécrire l’histoire à sens unique, avec des fins idéologiques (haine de l’Occident, « décolonialisme », déconstructionnisme, ersatz de communisme mal digérés, lois mémorielles hémiplégiques…) et, plus sûrement encore, sonnantes et trébuchantes (intimidations moralinisantes, culpabilisation de populations nées après la colonisation, chantage aux réparations, subventions pour des associations « culturelles »…). Driss Ghali n’est ni historien, ni journaliste ; diplômé de grandes écoles françaises, il contribue régulièrement au magazine Causeur et tient un blog. Il ne prétend pas à une objectivité illusoire, mais à une honnêteté intellectuelle et une franchise dans son travail fondé sur des sources et des travaux historiques sérieux, reconnus et variés.
Sa Contre-histoire de la colonisation française est une œuvre qui déplaira autant à la gauche et aux mouvements dits « décoloniaux » qu’aux défenseurs de la mémoire de l’Empire au trois couleurs sur lequel le soleil ne se couche jamais (s’il en reste) et aux nostalgiques du « temps béni des colonies » chanté par Sardou. Dès son introduction, Ghali pose le fait que la colonisation est une idée mauvaise dès le départ, et vouée à l’échec. Mais au lieu de partir de ce constat et de dresser, pour être dans l’air du temps, une histoire à charge, donneuse de leçons (cf les programmes de l’Éducation nationale, délibérément silencieux sur ce qui fait la grandeur et l’honneur de la France, et particulièrement insistants sur ses faces sombres), pleine de moraline et bien-pensante, il a l’intelligence de replacer le phénomène dans la durée et dans ses contextes spatio-temporels, politiques et géopolitiques. Qu’en était-il des colonies avant la colonisation ? Pourquoi coloniser ? Quels objectifs revendiqués, quels objectifs réels ? Comment concrètement ce mouvement protéiforme s’est-il déployé et a-t-il évolué ? Avec quels résultats concrets ? Qu’en a-t-il été réellement des « bénéfices » de la colonisation pour les peuples colonisés ? Pour la France ? Pour les Français ? Qu’en est-il des exactions de la colonisation ? De la décolonisation ? Driss Ghali fait œuvre de vérité dans l’établissement des faits, sans œillères. Marocain et musulman, il ne saurait être soupçonné a priori d’être un défenseur de la colonisation subie par sa famille.
L’auteur poursuit son travail avec les décolonisations, leurs tenants et aboutissants, et la Françafrique (« France à fric », pour reprendre le calembour de l’écrivain malien Yambo Ouologuem dans son génial pamphlet épistolaire Lettre à la France nègre), avec la même rigueur. C’est toutefois sa mise en perspective de la colonisation avec la période post-coloniale et notre époque contemporaine qui donne à son ouvrage sa valeur ajoutée. Et les constats posés ne sont guère réjouissants. Il est évident que son travail ne plaira pas à tout le monde, dans tous les bords. Si Driss Ghali rejette absolument (et à raison) toute idée de repentance, ce second crime selon Spinoza, il n’est en rien tendre ou indulgent avec la France coloniale ; et fait preuve de la même exigence quant aux peuples colonisés. Il met en lumière toutes les conséquences profondes de cette histoire commune et de son exploitation politique et idéologique par des « élites » mal-intentionnées, qu’elles soient issues des peuples anciennement colonisés ou de la France colonisatrice. Restent deux victimes sacrifiées : le peuple français, éternel coupable qui doit boire le calice jusqu’à la lie sans rédemption possible ; et les anciens peuples colonisés, éternels cocus, obligés de se démerder avec des régimes corrompus et violents.
Un ouvrage salutaire à lire et faire lire pour remettre l’église au centre du village.
Philippe Rubempré
Driss Ghali, Une contre-histoire de la colonisation française, Éditions Jean-Cyrille Godefroy, 2023, 318 p.