Essayiste, traducteur du russe et de l’anglais (profession qu’il a exercée dans le domaine judiciaire à Bruxelles) et romancier, Thierry Marignac est une signature atypique dans le paysage des lettres françaises. Avec Terminal Croisière (Auda Isarn, 2021), il nous plonge dans l’œil du cyclone des lobbyistes européistes, véritable marigot peuplé de sauriens assez peu recommandables et de bien nommés vauriens.
Thomas Dessaignes, le narrateur et héros, est embarqué comme traducteur dans le cadre d’un colloque sur le poète russe Derjavine, qui se tient à bord du paquebot Imperial Luxury, qui accueille en outre un séminaire d’une entreprise d’ingénierie trans-européenne, Omega 8. Lors d’une escale au terminal croisière du port belge d’Anvers, un jeune Tchétchène est arrêté en possession d’une rondelette quantité d’opium. C’est alors que Dessaignes est réquisitionné par la police es qualité d’interprète judiciaire. C’est l’été. La chaleur étouffante oppresse les nerfs et poisse les chemises contre les peaux. La pluie ne lasse pas de tomber sans parvenir à rafraîchir l’atmosphère.
Dans un incessant dialogue entre le terminal, au cœur des très crédibles séances d’interrogatoires, et les événements de la croisière en cours narrés par Thomas Dessaignes, Marignac échafaude une intrigue complexe dans laquelle s’emberlificotent séduction, espionnage industriel, corruption, paris truqués, reportage d’investigation, liberté de la presse, lobbying, polar… Entre l’envoûtante Svetlana et le mystérieux Opérateur, le lecteur est immergé dans les barbouzeries européennes, guidé dans ce sombre labyrinthe par un interprète judiciaire peut-être moins innocent qu’il ne l’affirme aux policiers… On y croise Britanniques, Russes, Tchétchènes, et autres Croates, Géorgiens ou Kazakhs ; on visite l’Imperial Luxury des entreponts aux salons de réception ; on espère et on suppute dans les préfabriqués du port d’Anvers – chaudron judiciaire improvisé en zone extra-territoriale…
Thierry Marignac est un familier des arcanes bruxellois comme de l’Europe de l’Est et des pays de l’ex-URSS. Son érudition transcende et confère un réalisme et un crédit étonnants à son roman ; il révèle un visage de l’Union européenne et de la bureaucratie bruxelloise bien loin des discours vantant la démocratie, la lutte conte la corruption ou la paix. Notre Union européenne tant célébrée comme sine qua non ? Chacun se fera son opinion sur la question en lisant Terminal Croisière.
Philippe Rubempré
Thierry Marignac, Terminal Croisière, Auda Isarn, 2021, 168 p.