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lundi septembre 16th 2024

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Le Monde du bout du monde – Luis Sepulveda

Un grand roman ne rime pas mécaniquement avec un long roman. En quelque 120 pages, l’écrivain chilien Luis Sepulveda, décédé en 2020, signe un grand roman avec Le Monde du bout du monde.

Un journaliste chilien indépendant établi à Hambourg (alter ego de l’auteur ?) s’apprête à retourner au Chili pour enquêter sur le destin d’un baleinier japonais censé avoir été détruit, mais photographié dans un drôle d’état par une militante dans un chantier naval de Puerto Montt. Notre reporter se souvient avoir, à 16 ans, sous l’influence de la lecture de Moby Dick, embarqué comme commis de cuisine pour naviguer sur les canaux et les flots déchaînés de l’extrême-sud du continent américain. Son voyage s’annonce donc comme un double retour aux sources, sur fond de chasse interdite à la baleine, en compagnie de marins solides et solitaires, d’Onas et d’Alacalufes, natifs de ces terres australes de Patagonie.

Le Monde du bout du monde est une aventure écologique, au plus près des baleines en voie de disparition, en immersion dans la lutte entre Greenpeace et les baleiniers japonais ; c’est une aventure politique sur fond d’intérêts peu avouables et de négociations secrètes ; c’est aussi, et même surtout, une aventure humaine qui met le lecteur aux prises avec des caractères trempés, forts, singuliers, du genre qu’on respecte instinctivement, comme l’étrange capitaine Nilssen, fruit de l’union d’un marin danois et d’une femme Ona baptisée « la Femme ».

La plongée dans l’extrême-sud du continent américain, sur le détroit de Magellan et en Terre de Feu, nous immerge dans un univers à la fois très violent, hostile, dur, et en même temps enchanteur, qui fut merveilleusement incarné par des écrivains comme Saint-Loup (La Nuit commence au cap Horn), Jean Raspail (Adios, Tierra del Fuego ; Moi, Antoine de Tounens, roi de Patagonie ; ou encore Qui se souvient des hommes…), mais aussi Jules Verne, Bruce Chatwin, ou le compatriote de Sepulveda, cité dans le roman, Francisco Coloane, auteur de Cap Horn, Tierre del Fuego et de Naufrages. Autant de romans, de récits de voyage ou de nouvelles que la lecture du roman de Luis Sepulveda vous invite à (re)découvrir pour poursuivre votre exploration de son Monde du bout du monde

Décidément, ce petit roman par le nombre de pages a tout d’un grand : la plume, le thème, les personnages, l’intrigue, et ce quelque chose de transcendant qui fait que vous n’êtes pas tout à fait le même après l’avoir refermé.

Philippe Rubempré

Luis Sepulveda, Le Monde du bout du monde, traduit de l’espagnol (Chili) par François Maspero, [Métailié, 1993] Points, 1995, 123 p.

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