Le 26 janvier 2019, je publiai dans ces pages un article intitulé « Ce qui est valable pour Charlie doit l’être pour Marsault« , pour le moins agacé des menaces physiques visant ce dessinateur (que personne n’est sommé d’apprécier positivement par ailleurs). À l’époque, je croyais encore naïvement que la démocratie allait de pair avec la liberté d’expression, aussi choquante ou outrageante fut ladite expression, dans la mesure où cette dernière respecte le cadre de la loi – ce qui (était) est le cas de Marsault.
Depuis cette date, les atteintes à la liberté d’expression n’ont de cesse de se multiplier, de façon exponentielle, provenant non seulement des associations « d’utilité publique » substantiellement subventionnées (donc financées par vos impôts), mais aussi des gouvernements successifs et de l’Union européenne. Ainsi, au printemps 2020, la loi Avia, heureusement déboutée, contre la « haine en ligne », suffisamment floue pour que n’importe quel propos déplaisant puisse être qualifié de « haineux » ; les rodomontades de Thierry Breton contre X, ex-twitter (une requête « Thierry Breton vs X sur un moteur de recherche donne des résultats éloquents) ; les projets d’identité numérique européenne ou de contrôle social – actualités juridiques, 15/06/2025 – (prémisses testés lors de la dépression covidique) ; les suppressions arbitraires de comptes bancaires pour les associations, collectifs, partis politiques ou personnalités considérés comme nuisibles a priori, quoique sans condamnation judiciaire (certaines de gauche, l’immense majorité de droite souverainiste, nationale, ou patriote)… Je n’oublie pas non plus la judiciarisation des propos privés (!), à laquelle seule la dernière dissolution nous a permis d’échapper… et qui fait, dans l’absolu, plus que friser avec le totalitarisme, c’est-à-dire avec la non-séparation entre la vie privée et l’espace public.
Il est vrai que c’est, une fois encore, au nom de grands principes et de bons sentiments qu’on rogne vos libertés, celle d’expression en premier chef : lutte contre le racisme, la xénophobie, l’islamophobie, l’antisémitisme, l’homophobie, la transphobie, le sexisme, j’en passe et de plus nobles causes encore. Comme le disait Émile Beaufort (Jean Gabin) dans Le Président (excellent film de Verneuil dialogué par Audiard d’après un roman de Simenon), « quand un mauvais coup se mijote, il y a toujours une république à sauver ». L’arlésienne de l’extrême droite, ici, une fois encore. Extrême droite (ED) qu’on se garde bien de définir… En effet, si l’on s’en tient à la définition universitaire de Taguieff (qui a passé sa vie à lutter contre l’ED), les cibles habituelles de la censure (médias Bolloré, Valeurs actuelles, TV Libertés, Tocsin, RN, Reconquête, une partie des Républicains, les ciottistes… ) ne relèvent objectivement pas de cette appellation, et ne sont en rien fascistes, ni d’ED. Et pourtant, leur légitimité et leur liberté d’expression est sans cesse remise en cause par des âmes charitables, au nom bien entendu de la démocratie et de la liberté d’expression.
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Le 19 janvier 2015, je publiai dans ces pages un long article intitulé « Charlie, Michel, Éric et les autres« , en soutien à la rédaction de Charlie Hebdo assassinée par des terroristes islamistes. Quoique de nombreuses voix anti-Charlie se font entendre du côté gauche comme droit de l’échiquier politique au nom du respect des religions, j’ai défendu Charlie, le droit au blasphème, à la critique de TOUTES les religions, philosophies et idéologies. J’étais Charlie, je suis toujours Charlie, et quand j’apprends que la revue La Furia est victime d’une censure administrative de fait, je deviens Charlie Furia. Le deux poids deux mesures ne me semble pas devoir s’appliquer. Deux publications satiriques : l’une marquée très à gauche ; l’autre marquée très à droite. Je veux, j’exige la liberté de lire les deux.
En bref, deux associations, SOS Racisme et SOS Homophobie, ont porté plainte contre La Furia, et ont été déboutées, la justice ayant classé sans suite leurs plaintes. Mauvais joueurs, ces lobbys soi-disant défenseurs de la démocratie ont écrit au ministère de la Culture. Résultat: la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP) retire l’agrément de la revue, sans information préalable, ni motivation argumentée (aucune condamnation judiciaire). Conséquence : la revue peut toujours paraître et être distribuée en kiosque, sans toutefois le tarif postal préférentiel et la TVA réduite que confère l’agrément de la CPPAP. De plus, les kiosquiers n’ont plus l’obligation de vendre le titre, donc perte de points de diffusion. Les équipes de la revue ont bien entendu engagé les procédures judiciaires idoines, mais avec la lenteur de l’institution, la revue risque de devoir mettre la clé sous la porte avant qu’une décision (a priori favorable) ne soit rendue.
Cette basse manœuvre politicienne est un scandale, qui vise à faire taire, à réduire au silence un adversaire politique. Les grandes déclarations de la ministre de la Culture, Rachida Dati, sur la liberté d’expression : du bidon. L’état profond, l’administration, aux mains de la gauche politique, minoritaire dans les urnes mais suffisamment retorse pour maîtriser les contre-pouvoirs réels, fait ce qu’aucun gouvernement de droite ne ferait : réduire un adversaire politique au silence pour des raisons politiques. La justice ayant débouté les requérants, la seule raison qui reste est de facto politique. Une censure qui ne dit pas son nom. Une lâcheté. Une veulerie. Parce que considéré « d’extrême droite » (là encore, La Furia ne répond pas aux critères universitaires définissant l’ED établis par Pierre-André Taguieff), la « grande presse », qui serait inexistante sans perfusions de milliardaires (quand ce n’est pas Bolloré, c’est bien) et de subventions (vos impôts maintiennent à flots des journaux sans lecteurs), se permet de s’en féliciter, voire de s’en réjouir. Si c’est la vision de la démocratie de nos « élites » gouvernementales et médiatiques, alors, plus que jamais Albert Simonin semble devoir avoir raison : « la démocratie, c’est le gouvernement d’un pays par des pourris qu’une majorité de cons a choisis ».
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En ce qui me concerne, je ne me résous pas à voir mon pays sombrer dans l’inculture crasse, la censure et le totalitarisme liquide des sectateurs du progressisme bas du front. En soutien clair et affirmé à cette revue (question de principe, personne n’est obligé ni de l’aimer, ni de l’acheter), je republie mon article de défense de Marsault. Je maintiens tout ce qui est écrit : ce qui est valable pour Charlie doit l’être pour Marsault, pour La Furia, et tout autre expression légale menacée de censure.
Pour soutenir La Furia contre ce terrorisme intellectuel liberticide, c’est ici : https://abo.lafuria.fr/lp-sauvons-la-furia
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Ce qui est valable pour Charlie doit l’être pour Marsault (1ère publication le 26/01/2019)
Défense de Marsault

Est-il bien raisonnable dans la folie anastasienne1 de notre temps de le confesser ? J’aime Marsault. Malgré les grincheux, par-delà les polémiques vaines – qui n’eussent pas même existé si Marsault pointait coco ou trotsko… J’ai découvert cet auteur de bandes-dessinées grâce à un réseau dit-social que j’ai déserté depuis. C’était avant les crises d’hystérie. Sur ce point, je n’aurai qu’une réflexion, un simple constat : dans la France de 2019, Patrie des Droits de l’Homme, du débat démocratique et de la libre expression, si une provocation émane de la gauche ou de l’extrême-gauche, elle est innovante, décalée, joyeuse, progressiste, bref, si vous ne la trouvez pas drôle, que vous vous sentez insulté ou êtes choqué, vous êtes à n’en pas douter un fasciste réactionnaire qui fait le jeu de qui-on-sait ; issue de l’autre bord, c’est le festival de cris d’orfraies, no pasaran et lutte contre un fâchisme fâcheux, de pacotille par surcroît, comme l’a si bien écrit Pasolini2.
Personne n’est obligé d’apprécier Marsault, ni son dessin, ni son humour, ni ses idées. De là à vouloir lui détruire les mains à la masse pour l’empêcher de dessiner3 ou faire feu de tout bois à la moindre opportunité d’abuser du droit pour le censurer et le faire taire, il y a un pas que seuls les démocratolâtres4 de la Gôgauche5 bien-pensante franchissent. Ceux-là se revendiquent pour la liberté d’expression, qu’ils défendent avec vigueur – et non sans brio pour quelques-uns – mais leur liberté d’expression est bornée par leur logiciel idéologique. Hors de ceux qui pensent comme eux, point de salut. Juste un ennemi à abattre, à détruire, à éradiquer comme une vulgaire mauvaise herbe au jardin. Sauf que dans la nature, les mauvaises herbes ont, elles aussi, leur place et leur utilité…
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Marsault est droitard et ne s’en cache pas, quoiqu’il reste libre et ne s’affiche pas militant. Il aime la virilité et l’humour trash, son personnage d’Eugène6 en étant la breum démonstration, l’expression gaillarde pour ne pas dire couillue. Marsault a la critique acerbe (Charlie Hebdo aussi, par parenthèse) ; c’est de bonne guerre – et intrinsèque à une saine démocratie, soit précisé en passant… Les idées féministes devenues folles, les délires de genre, les donneurs de leçon confortablement installés à l’abri de ce qu’ils promeuvent pour la populace, tous en prennent pour leur grade… en caricature et en dessins ! Il n’y a pas là un programme politique ou la promotion d’un candidat « fâsssssiste » ou populiste. Et quand bien même ! Nous admettons bien des partis de diverses obédiences communistes. En terme de morts, le communisme est déclaré vainqueur par K.O., sans conteste possible. Comme le disait l’Oncle Jo (Staline), un mort c’est tragique, un million de morts, c’est anecdotique. Une belle philosophie de donneurs de leçon, en vérité !
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La lecture de Marsault est une catharsis qui aide à supporter l’abjecte déchéance consumériste et utilitariste de l’Occident (et donc de la France), méprisant la nature et les Hommes au service d’un individualisme droit-de-l’hommiste forcené que rien ne semble devoir limiter. Tout au nom du Bien et du droit au Bonheur. Qui peut être contre le Bien et le droit au Bonheur ? Aucun abruti au cerveau lavé par la destruction de l’enseignement de la langue, des lettres et de l’histoire, sacrifié sur l’autel de l’idéologie progressiste et de l’employabilité sonnante et trébuchante à court terme. Restent quelques réfractaires, de gauche (Onfray, Michéa, Debray…) comme de droite (Obertone, de Benoist, de Cessole…), d’une grande diversité idéologique et d’expression mais qui partagent cet objectif, ce combat, de remettre les pieds sur terre à une société occidentale devenue folle de ses aveuglements idéologiques et des dénis de réalité conséquents…
Avec son dessin aussi drôle (donc violent) que trash, Marsault participe de ce retour du réel dans le monde bisounours des sectateurs du politiquement correct et de l’humour à sens unique. C’est bien cela qu’on lui reproche. C’est pour cela qu’on veut le faire taire. Et c’est pour cela que je le défends. Pour cela et parce que, dans ma faiblesse, je crois – encore – que la démocratie reste le pire des régimes (à l’exception de tous les autres, c’est entendu), et que la censure devrait se limiter à la diffamation, la provocation au meurtre et la vie privée. Marsault n’est concerné par aucun de ces motifs, seuls légitimes selon moi.
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Avant les attentats qui ont ensanglanté la rédaction de Charlie Hebdo, il y avait eu les menaces, sans réactions notables ; après les menaces, les locaux ont été détruits par un jet criminel d’engin incendiaire, donnant lieu à quelques réactions indignées mais surtout à une pétition affligeante intitulée « Pour la liberté d’expression et contre le soutien à Charlie Hebdo ». Il aura fallu que le sang coule pour connaître un réveil. Après les attentats lâches et ignobles commis par des êtres qui – comme leurs soutiens politiques, idéologiques et de toute autre nature – ne méritent pas d’autres qualificatifs, si ce n’est celui d’assassins, j’étais Charlie, et j’ai écrit ce que j’avais à écrire7, avec toutes les maladresses d’usage. J’étais Charlie, je suis toujours Charlie, et à présent, parce que je suis Charlie, je suis Marsault.
Breum lecture !
Philippe Rubempré
1 Le commerce de ciseaux semble toujours promis à un avenir florissant. Quel changement depuis le procureur Pinard et ses réquisitoires contre Flaubert et Baudelaire ? https://fr.wiktionary.org/wiki/ciseaux_d%E2%80%99Anastasie
2« Une bonne partie de l’antifascisme d’aujourd’hui, ou du moins ce qu’on appelle antifascisme, est soit naïf et stupide soit prétextuel et de mauvaise foi. En effet elle combat, ou fait semblant de combattre, un phénomène mort et enterré, archéologique qui ne peut plus faire peur à personne. C’est en sorte un antifascisme de tout confort et de tout repos. Je suis profondément convaincu que le vrai fascisme est ce que les sociologues ont trop gentiment nommé la société de consommation, définition qui paraît inoffensive et purement indicative. Il n’en est rien. Si l’on observe bien la réalité, et surtout si l’on sait lire dans les objets, le paysage, l’urbanisme et surtout les hommes, on voit que les résultats de cette insouciante société de consommation sont eux-mêmes les résultats d’une dictature, d’un fascisme pur et simple. » Pier Paolo Pasolini, Écrits corsaires
3https://www.valeursactuelles.com/faits-divers/menaces-contre-le-dessinateur-marsault-quand-des-antifas-voulaient-lui-trancher-les-mains-98655
4 « Être moralisateur n’est rien d’autre que cela : assigner à autrui le soin de faire ce que l’on ne fait pas soi-même. » – Jean-Louis Vullierme, Le Nazisme dans la civilisation, miroir de l’Occident, L’Artilleur, octobre 2018
5La Gauche, vaste et diversifié courant idéologique se caractérisant par la foi dans le progrès de la nature humaine, ne saurait être confondue avec cette triste caricature qui n’est pas à la hauteur de cette histoire politique.
6BREUM, 3 tomes parus, éditions RING.
7Charlie, Michel, Éric et les autres, Librairtaire.fr, 19 janvier 2015.