Malgré les récriminations des pédagos et autres sous-catégories intéressées (syndicats, partis politiques essentiellement de gauche mais pas que…), la baisse du niveau scolaire est en passe de devenir aere perennius au sein des médias et de la population française. Cette diminution réelle, démontrée par tous les classements internationaux (et pas seulement le PISA) n’est que l’arbre qui cache la forêt de la régression intellectuelle de la France mise au jour par Philippe Nemo. En effet, cette régression intellectuelle ne se limite pas, loin s’en faut, aux domaines scolaire et universitaire. Elle ronge sournoisement, mais légalement, nos libertés fondamentales, singulièrement les libertés d’opinion, d’expression et le droit à une justice équitable fondée sur la formule nulla poena sine lege, c’est-à-dire pas de condamnation sans loi. Or, la nouvelle religion moderne, si drôlement décrite par Philippe Muray dans ses essais et articles, est devenue inquisition aux mains de velléitaires non démocratiquement ni élus, ni approuvés (associations, juges…). Depuis 1972, la liberté de penser, de s’exprimer et de débattre n’a cessée d’être remise en cause par voie législative (qui, divorce consommé, ne représente plus objectivement le pays réel – cf le ratio abstentions + non-inscrits + nuls + blancs toujours plus important, et ce de manière exponentielle, par rapport aux suffrages exprimés dans l’essentiel des élections), jusqu’à la résurrection du délit d’opinion, augmenté d’un flou juridique qui favorise l’arbitraire. Une chape de plomb s’est abattue sur la France sous la forme de cette espèce de totalitarisme mou incarné par la surveillance de tous sur chacun et de chacun sur tous, i.e. la dictature de l’individu sur l’individu pour reprendre la définition de Claude Polin (qui fut mon professeur de philosophie de l’histoire en licence d’Histoire contemporaine).
Le noyautage et la déconstruction de l’école et de l’université
La mise en place de l’école unique et obligatoire répond à deux objectifs. Le premier, noble, est de former les futurs citoyens en leur apprenant à lire, écrire, compter, réfléchir, et en leur donnant les savoirs historiques, géographiques, scientifiques nécessaires à leur propre construction politique. Le second objectif est moins avouable ; il consiste à enlever l’éducation des enfants à leur famille (et donc à toute forme potentielle d’éducation hérétique quant à la doxa progressiste et mondialiste en vigueur). Cet objectif est assumé, et a été réaffirmé avec force par le ministre Vincent Peillon sans avoir été démenti par ses successeurs, que ce soit Benoît Hamon ou Najat Vallaud-Belkacem. Le premier objectif a été petit-à-petit abandonné au profit du second (et il a fallu aux tenants de l’école libre se battre durement pour exister encore), et est en passe de devenir une réussite totale comme le montrent ses résultats (si toutefois il n’y a pas de réaction démocratique à ce déni manifeste de démocratie) :
– les méthodes pédagogistes ont produit en masse des dyslexiques et des illettrés ;
– le contenu des programmes scolaires se conforme aux idéaux politiques d’associations ou groupes de pression communautaristes de tous poil et obédience (ethnique, sexuel, politique…) ;
– les décideurs du contenu des programmes n’émanent pas d’une représentation nationale démocratiquement élue, et ne sont aucunement soumis à suffrage démocratique (fonctionnaires inamovibles, syndiqués…), et appartiennent dans leur immense majorité et dans leur bon droit à la gauche, essentiellement libérale-libertaire.
Assise de la pensée unique par la législation
Face aux contestations plus ou moins pertinentes et légales émanant de la société civile (exemple provoquant : expression d’une pensée raciste vs ratonnade) à partir de la décolonisation de l’Algérie, puis avec Mai-1968, n’ayant pas d’arguments à opposer aux expressions politiques légales, aussi choquantes ou absurdes soient-elles (les expressions illégales de type ratonnade tombaient déjà sous le coup de la loi, fort heureusement), l’administration, inamovible par statut, et la franc-maçonnerie, par effet de « lobby » (cf Philippe Nemo, La France aveuglée par le socialisme, chapitre 2), ont imposé à un pays légal représentant de moins en moins le pays réel une législation limitant la liberté d’expression et celle d’opinion de manière exponentielle, de telle sorte que si vous racontez une blague de mauvais goût sur les Noirs à votre pote tchadien et qu’un quidam de SOS Racisme vous entend par hasard, si ce dernier porte plainte au nom de son association, vous serez immanquablement condamné (quand bien même votre ami tchadien ne fût pas choqué, quand bien même eut-il l’indécence de rire de votre blague). La sournoiserie, qui, comme le démontre Nemo, fait régresser la justice française à avant l’Inquisition, fait que la condamnation sera plus ou moins lourde selon la sensibilité politique et/ou syndicale du juge (rappelons qu’il ne s’agit que d’une simple blague à caractère parfaitement privé, à titre d’exemple). Les textes incriminés ici sont les lois du 1er juillet 1972, 13 juillet 1990, 21 mai 2001, 30 décembre 2004 et l’article R. 625-7 du Code pénal, et l’article 475 du Code de procédure pénale. Je ne re-développe pas l’analyse que je partage avec Nemo des lois mémorielles (Gayssot, Taubira), sur lesquelles j’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer à l’occasion de ma chronique de L’imparfait du présent d’Alain Finkielkraut.
Condamnation à mort intellectuelle et médiatique des hérétiques
Comme il n’est pas possible à la minorité titulaire de la doxa morale dite « républicaine » (ce qui dénote au passage une inculture certaine) de neutraliser judiciairement toutes les opinions déviantes, il leur fallait trouver une autre manière de discréditer leurs adversaires : j’ai nommé la trop fameuse reductio ad hitlerum. Si Nemo n’y fait pas nommément allusion dans son texte, il n’en décrit pas moins les mécanismes avec intelligence. La reductio ad hitlerum (sur laquelle je me suis arrêté dans plusieurs chroniques, notamment celle intitulée Charlie, Michel, Eric et les autres…) permet, sans recours à l’institution judiciaire, et quasiment sans possibilité de défense pour l’incriminé(e), de jeter l’anathème sur un être hérétique ou exprimant une idée, pensée, opinion, ressentie comme telle par la doxa. Cette nouvelle pravda a le mérite inestimable de tuer dans l’oeuf toute velléité de disputatio civilisée.
Le résultat de tout cela, que Philippe Nemo démontre parfaitement, faits, exemples, arguments et textes de lois à l’appui, est cette régression intellectuelle de la France qui s’incarne dans une régression des libertés et dans une régression démocratique. La baisse de niveau conjuguée au recul démocratique (on ne débat pas des tabous de la Gôgoche : immigration, fiscalité, libéralisme… et ce, quoique nous en pensions par ailleurs) a conduit à l’impasse politique dans laquelle la France patauge depuis les chocs pétroliers. Un premier pas pour en sortir serait sûrement de verser l’ouvrage de Nemo au débat public, et notamment de le mettre au programme des écoles de journalisme, et d’une manière générale, au programme de toutes les formations menant aux fonctions publiques régaliennes.
Philippe Rubempré
Philippe Nemo, La régression intellectuelle de la France, Texquis, 2011, 16 euros
Philippe Nemo, La France aveuglée par le socialisme, Texquis, 2014, 316 pages, 24 euros
Retrouvez cette chronique sur le Salon Littéraire.