Journal d'un caféïnomane insomniaque
jeudi novembre 21st 2024

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La langue des médias – Ingrid Riocreux

langue-des-medias    Avec La langue des médias, essai justement sous-titré Destruction du langage et fabrication du consentement, Ingrid Riocreux pratique l’autopsie de l’information telle que véhiculée par les médias, c’est-à-dire partiale et partielle, emprunte de propagande (sens contemporain) et d’idéologie dans les médias dits officiels comme dans ceux de la « réinfosphère », prompts à réutiliser les méthodes reprochées aux précédents.

Je ne reviens pas sur la destruction du langage : il vous suffit d’ouvrir les oreilles en écoutant la radio ou la télévision. Et, mea culpa, je ne m’exonère pas d’une involontaire mais probable participation : une relecture attentive des mes chroniques publiées depuis six années maintenant témoignerait sans doute ici ou là un manque de relecture ou  un relâchement de la syntaxe… parfois volontaire, parfois pas vu…

Ce dont nous nous doutions et qui là est démontré, exemples nombreux et variés à l’appui, est la manipulation de l’information à des fins idéologiques ou moralisatrices. La restitution prétendument objective des faits (notamment par France Info, véritable cas d’école abondamment cité) se révèle à y regarder plus attentivement largement subjective dans le ton, le choix des termes employés, la manière d’exprimer les faits… ou d’en passer sous silence tout ou partie. À écrire ces lignes, il me semble savoir cela plus ou moins consciemment depuis mes études d’histoire, au cours desquelles j’ai appris à interroger les sources avec un regard critique et à les vérifier. Ce que nous apprend Ingrid Riocreux, c’est que le Journaliste (avec une majuscule, stéréotype de la profession) est le plus souvent sincère quand il prétend être objectif. Sincère et manipulé. N’ayant pas appris la rhétorique, il soutient l’idéologie (ou la pensée) dominante – quelle que soit celle-ci par ailleurs – avec la foi du charbonnier, comme si elle était vérité vraie, objective, incontestable (cf les débats sur le mariage pour tous, le droit à l’IVG, l’accueil des « migrants »… liste non-exhaustive). Ce qui n’est pas sans poser un léger, oh, tout léger problème dans un pays qui se veut démocratique, c’est-à-dire où les citoyens sont supposés voter en toute connaissance de cause. Destruction de l’école et abandon des humanités, destruction du langage et fabrication du consentement (à grands renforts de deux poids, deux mesures, et d’indignations sélectives) forment un coquetèle qui ressemble de plus en plus au cercueil de la démocratie. Le risque est parfaitement décrit par Ingrid Riocreux :

« On a coutume de dire que l’ascenseur social est en panne. Cela signifie que la démocratie est morte, qu’elle a dégénéré en oligarchie. Ceux qui ont le pouvoir le gardent ; ceux qui ne l’ont pas n’ont aucun espoir de l’acquérir. Sous prétexte de tendre la main aux seconds,les premiers leur vendent des entraves séduisantes : à travers les médias serviles, une information « de qualité », à travers une école délétère, une éducation « d’excellence ».« 

Et de conclure que « l’illettrisme entraine la violence, et la sécurité appelle la tyrannie. Le système qui, par son oeuvre éducatrice (scolaire et médiatique), se targuait d’engendrer des personnes libres et responsables, pétries des idéaux les plus nobles, s’écroulera donc sous les coups de ce qu’il a lui-même produit, en réalité : un gibier de dictature.« 

L’essai d’Ingrid Riocreux est particulièrement intéressant par la mesure, la justesse et la lucidité de son propos, ainsi que par l’équilibre idéologique et politique des exemples choisis à l’appui de sa démonstration. À l’encontre de toute forme de complotisme comme de complaisance, l’auteur éclaire ce qui pourrait n’être qu’une regrettable déformation professionnelle du Journaliste ; lequel, dûment averti pourrait y remédier, ou du moins essayer. Le Journaliste ne le fera pas, c’est hélas plus que probable. Il préfèrera sans doute hurler au complot, au populisme ou à je ne sais quoi de discréditant pour un discours auquel il n’est pas en mesure de répondre de manière argumentée. Ceux qui se laisseront aller à cette bassesse d’esprit et de comportement, en plus d’illustrer le propos de cet essai, dévoileront leur vrai visage, indigne d’Albert Londres, portant les stigmates d’une insignifiance mâtinée de crédulité militante. Reste au citoyen à s’emparer du travail d’Ingrid Riocreux et exercer son libre-arbitre quant aux informations dont on l’abreuve à longueur de temps.

Philippe Rubempré

Ingrid Riocreux, La langue des médias. Destruction du langage et fabrication du consentement, L’Artilleur, 2016, 333 p.