Journal d'un caféïnomane insomniaque
jeudi juillet 17th 2025

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Notre amie la Gauche – Jean-François Chemain

« Il a été permis de craindre que la Révolution, comme Saturne, dévorât successivement tous ses enfants. »

Pierre-Victurnien Vergniaud, cité par Alphonse de Lamartine dans « Histoire des Girondins« .

Sous-titré « Deux siècles de cléricature », le titre de l’essai de Chemain, Notre Amie la Gauche, résonne ironiquement. Dans ce court livre préfacé par Mathieu Bock-Côté, l’essayiste, ancien professeur d’histoire-géographie, s’essaye à comprendre la Gauche en tant que mouvement Politique avec un grand P (donc par-delà les partis politiques qui émaillent son histoire), sous un angle historique. Des siècles que physiciens, savants et autres génies se sont échinés à découvrir le mouvement perpétuel… la Gauche l’a fait ! Révolutionnaire dans l’âme, visant à changer la nature de l’Homme (ce qui est d’essence totalitaire de mon point de vue), la Gauche avance toujours plus à gauche et abandonne à droite – voire à l’extrême droite – ses anciens camarades de lutte.

Jean-François Chemain constate – et démontre – que la Gauche a pris la place de l’Église catholique sur le contrôle moral de la société, constituant ainsi une nouvelle cléricature tenant lieu de clergé, elle aussi avec ses propres clercs politiques, universitaires, culturels, artistiques, médiatiques. En effet, nombre de révolutionnaires de 1789 étaient issus du clergé, et comment ne pas penser aux Évangiles avec les idéaux de justice sociale ou d’égalité ? Mais Chemain constate aussi avec Chesterton que ces « idées chrétiennes [sont] devenues folles », et s’affranchissent aisément du réel, quoi qu’il en coûte. Ainsi, à titre d’exemple, il est toujours reproché à Augusto Pinochet les 3 000 morts de sa dictature, mais rien sur le génocide cambodgien pourtant concomitant… Il est vrai que la prise de pouvoir des Khmers rouge a été saluée comme une libération par Le Monde (L’Immonde ?), et qu’elle n’a conduit qu’à environ 2 millions de morts… Pour la Gauche, le réel doit se plier à l’idéologie, et si l’idéologie ne fonctionne pas, c’est qu’on a pas été assez loin dans la mise en œuvre de l’idéologie. Fuite en avant perpétuelle aux conséquences tragiques, l’Histoire en regorge. Chemain conteste justement l’excuse de l’idée généreuse à tous les excès de la Gauche, et dénonce le deux poids deux mesures pratiqué vis-à-vis de la droite (elle-même faisant volontiers montre de lâcheté, de veulerie et de pusillanimité).

Chemain n’est pas neutre (il publie dans une maison d’édition catholique et de qualité, mécréant dixit), cependant il est honnête intellectuellement. Il est modeste et ne prétend pas connaître, savoir ou incarner le Bien, le Bon, le Vrai : de ce point de vue, il n’est de facto pas de gauche. Il se demande d’ailleurs en fin d’ouvrage comment passer outre ce magistère « moral » étouffant, après s’être interrogé : pour qui se prennent-ils ? qu’est-ce qu’ils croient ? qu’est-ce qu’ils font ? pour qui nous prennent-ils ? qu’est-ce qu’ils veulent ? pourquoi tant de haine ?

La Gauche notre amie est un court essai politco-historique engagé et critique, mais, je le répète, honnête. Les politiciens de gauche devraient s’en emparer et lui répondre sur le fond. Las ! Il sera au mieux « extrême-droitisé », au pire totalement ignoré… en attendant le goulag 2.0 ? Nous ne sommes pas en accord avec tous les points de l’analyse produite par Jean-François Chemain, mais cette analyse est stimulante, donne à réfléchir et invite à une remise en question pertinente ; elle devrait donc être versée au débat public. Il semble que pour critiquer la Gauche en France et obtenir un relais médiatique conséquent, il faille être soi-même de gauche (cf le très éclairant – et effrayant – essai consacré à La France insoumise et à Jean-Luc Mélanchon et son entourage, La Meute, de Charlotte Belaïch et Olivier Pérou, journalistes notamment à Libération et au Monde, paru chez Flammarion au printemps 2025).

Je laisse Chemain conclure sur l’appréciation de la réalité et de l’idéologie par nos amis de Gauche :

« Ils ne craignent guère, les clercs utopistes, que leurs élucubrations soient démenties par les faits, tant les tentatives de mise en œuvre en sont exceptionnelles. Car le problème n’est pas l’utopie en tant que telle, mais la prétention de certains à la mettre en œuvre, qui est toujours vouée à l’échec. C’est le destin de l’utopie : l’idée est belle, mais elle échoue sur la réalité cruelle et ne peut être poursuivie que par la plus extrême violence. Ce dont on ne lui tient jamais rigueur, d’une part parce que l’idée était belle, d’autre part parce que ce sont toujours les clercs qui racontent l’Histoire. Ainsi l’homme de gauche dédouane-t-il systématiquement la gauche de tous ses crimes en affirmant que ce n’est pas l’idée qui était en cause, mais son imparfaite mise en œuvre. La faute à tous ceux qui lui ont mis des bâtons dans les roues. »

J.-F. Chemain, pp. 45-46.

Philippe Rubempré

Jean-François Chemain, La Gauche notre amie. Deux siècles de cléricature, préface de Mathieu Bock-Côté, Éditions Via Romana, 2025, 117 p.

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