La Clef des Sages – Michèle Bayar, Jean-Claude Djian
C’est je crois ce qu’on appelle de la littérature pour la jeunesse. Si tant est que la littérature se puisse diviser, catégoriser, classifier, casifier selon les tranches d’âges…
Yacine, fils de tisserand à Tlemcen, étudie la nuit et travaille dans l’atelier paternel le jour. Il a été obligé de quitter l’école, son père voyant de moins en moins bien ayant besoin de lui pour nourrir la famille. A l’école, il croise la route et les yeux de la belle Amina, fille du plus riche notable de Tlemcen. Ensemble, ils vont partir à la recherche de la clé du bonheur, au loin dans les montagnes, en compagnie de Zitouna, une chatte mystérieuse et sympathique, au fantastique pouvoir de Djinn. Voilà l’histoire de ce parcours semé d’embûches, où les méchants ne sont pas ceux qu’on croit, où rien n’est aussi manichéen qu’il n’y parait.
Un roman court, mais riche du point de vue du vocabulaire. Le verbe est truculent et succulent, l’Arabe cotoye la langue française avec une judicieuse parcimonie permettant à tout jeune non arabophone de comprendre l’histoire et d’apprendre quelques bribes de la langue des Mille et une Nuits.
Pour les jeunes ados et les vieux enfants, à recommander, à offrir!
Illustrations couleur d’Arnaud Bétend
Les exploits d’un jeune don Juan – Guillaume Apollinaire, mis en images par Georges Pichard
A l’origine, un court roman d’initiation érotique (pornographique diront les mauvaises langues). Une oeuvre d’Apollinaire qui n’est pas étudiée au lycée.
Roger, un jeune adolescent, part à la campagne avec sa soeur, sa mère et sa tante, ainsi qu’avec quelques domestiques. La salle de bain révèle à ce godelureau que les femmes peuvent provoquer chez lui certains effets physiologiques sur lui… Petit à petit, l’initiation commence, avec la bonne et la soeur, puis la tante, pimentée par la découverte de la relation intime de ses parents.
Georges Pichard, maître de la bande dessinée érotique française, a adapté et mis en image ce court roman d’Apollinaire dans un noir et blanc léché (sans mauvais jeu de mots). Le dessin de Pichard est reconnaissable au premier coup d’oeil. Sa manière de représenter les femmes, les visages, les moues rappelle un certain expressionnisme allemand d’Entre-Deux Guerres.
L’élite de l’érotisme littéraire et dessiné à la française, à découvrir ou redécouvrir, toutefois si l’on a atteint l’âge des amants…
Kiki de Montparnasse – CATEL & BOQUET
Une légende de Montparnasse, une égérie des années folles, un hymne à la liberté de la femme et à la liberté tout court. Un dessin noir & blanc d’une sobriété bienvenue, se posant en oxymore face au sujet de la BD. Une histoire vraie, documentée, bibliographiée, portraitisée, multi-portraitisée…
Et en plus c’est remarquablement scénarisé. Les 368 pages se dévorent littéralement. À travers la merveilleuse vie de Kiki, on croise Cocteau et Man Ray, Breton et Hemingway, on mange Chez Rosalie et on termine la soirée au Boeuf sur le toit…
Kiki, Alice Prin de son vrai nom, élevée par sa grand-mère en banlieue, va devenir modèle par accident. De peintres en amants, de concerts en expositions personnelles, de livres de mémoires en déchéance, au fil des litrons de jaja et des lignes de çakébon, on plonge littéralement dans le parcours de celle que Man Ray a immortalisé dans sa célèbre photo intitulée Le violon d’Ingres. Kiki incarne à elle seule le Montparnasse des années d’Entre-Deux Guerres. Derrière elle se battent tout les peintres, écrivains, acteurs, Français, Américains, Russes et même Japonais qui coloraient Montparnasse à la manière d’un Kandinski.
L’histoire d’une femme libre avant l’heure, qui a choisit délibérément de préférer sa liberté face aux lois, à la morale, à la médecine, à la « bonne éducation ». Jusqu’à la mort.
Sa devise aurait put être « vivre libre ou mourir », sa vie fut libre et elle est morte.
Un personnage extraordinaire (au sens propre du terme) dans une époque artistique foisonnante et politique agitée. Une bande-dessinée juste, qui se distingue parmi les flots de l’édition bédéïque contemporaine par sa qualité, par son fond et par sa forme.
Sans en remettre une couche, lisez-le, vous ne le regretterez pas, et sans doute comme moi vous en tirerez quelques leçons à votre profit (et par voie de conséquence, à celui de vos proches).
Chronique à retrouver sur le Salon Littéraire.
Histoire de l’art – Ernst H. GOMBRICH
Si tous les historiens d’art pouvaient être aussi passionnés, clairs, précis dans la concision et agréables à lire que le sieur Gombrich, la fréquentation des musées exploserait de manière exponentielle et ingérable !
Il est difficile de chroniquer (et non critiquer) un ouvrage majeur, dit de référence, autant comblé d’éloges, sans avoir l’air d’un béni oui-oui qui répète gentiment ce qu’il a lu sur la quatrième de couverture de l’ouvrage. Et pourtant, le jeu du Librairtaire n’est en rien intéressant s’il n’est pas sincère. La sincérité est son seul et unique cachet.
Je vous confirme donc avec joie le grand plaisir – et la jubilation par moment – que j’ai éprouvé(s) à lire cette histoire de l’art en passe de devenir légendaire.
Pour le reste, de la préface à la conclusion, tout est dit, raconté, démontré, expliqué par Gombrich, qui nous transmet avec un bonheur évident sa passion et les bases de la compréhension de l’art, de son évolution et des clés de lectures des oeuvres.
Hélène Bruller est une vraie salope
Dessin – Scénario : Hélène BRULLER
Et si c’était vrai ? Pour le savoir, déguster cette bande-dessinée hilarante ! Alternant les pages sur son histoire et une tentative de classification des comportements humains au fil de son histoire, Hélène Bruller raconte son largage en haute montagne avec toutes les phases conséquentes (déprime, larmes, vengeance…) jusqu’à une nouvelle rencontre et plus si affinités.
Le dessin est brut et féminin. L’auteur a une étonnante capacité à tordre les visages pour mettre en valeur un état ou un sentiment, rappelant en ce sens Egon Schiele ou encore un certain art de l’anamorphose.
Cette BD est brillante, délirante, vache et drôle, parce que juste. Hélène Bruller est une vraie salope. Hélène Bruller sait aussi mettre le doigt là où ça fait mal et ça nous faire rire. C’est d’autant plus intéressant que tout un chacun a connu, du côté masculin ou féminin, ces situations.
Humour, dérision et auto-dérision pour une réflexion sur notre condition d’être aimant.