Il y a quelque chose de Pirotte chez Servais. La mélancolie, la bière, les Ardennes, une certaine forme de poésie qui réenchante le désenchantement. Jean-Claude Servais est un nouvelliste de la bande-dessinée qui maîtrise son art à merveille. Ses personnages sont attachants, sans pathos ni caricature. Ils nous sont proches car ils respirent la sincérité. Fanchon ne déroge pas à la règle.
La belle et mystérieuse Fanchon est l’absente omniprésente de cette histoire dont elle est malgré elle l’héroïne. À l’occasion de l’enterrement de sa mère, elle revient hanter le souvenir et la vie de Séverin comme le remugle douloureux d’un temps révolu. Les deux autres gars de la bande aussi sont de retour, aux prises avec un passé qui ne passe pas. Ne manque que Fanchon. Son père ne répond pas aux questions. Elle a disparu vingt ans plus tôt, en allant à Paris tenter sa chance comme comédienne. Pas revue depuis sa fugue. Il n’en démord pas. Sans commentaire. Juste le souvenir mélancolique de la fille aimée. Les retrouvailles provoquées par le décès de la mère ressuscitent le fantôme de Fanchon, aimée et amante des trois copains d’enfance, au destin tragique à découvrir…
Servais dessine ce portrait en creux dans son style limpide et lumineux. Tout y est, l’ambiance, la sincérité, la vérité, le drame. Cette histoire n’est pas sans rappeler certaines nouvelles de Faulkner pour son univers complet, sa noirceur aussi, quoique différente, et sa mystique. Fanchon interroge le lecteur au plus profond de lui-même. Beaucoup, chacun peut-être, connait ou a vécu une histoire similaire, le tragique en moins sans doute… Mais le plus tragique ne se fonde-t’il pas sur les errements de l’âme malade d’une absence inexpliquée ? Pourtant, cette oeuvre est lumineuse dans ses couleurs et dans sa justesse, lumineuse d’intelligence. Nous quittons Fanchon empreint d’une mélancolie souriante, en sachant que nous y reviendrons.
Chronique à retrouver sur le Salon Littéraire.