Journal d'un caféïnomane insomniaque
vendredi avril 19th 2024

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Rééducation nationale – Patrice Jean

Merveilleux et subtil contempteur de l’air du temps, ironiste talentueux, professeur de lettres, Patrice Jean, auteur de l’inénarrable Homme surnuméraire (rue fromentin, 2017), est avec le rabelaisien Olivier Maulin et le voltairien Bruno Lafourcade l’un des écrivains les plus drôles et les plus (im)pertinents de sa génération. Avec Rééducation nationale, paru en juillet dernier, il s’attaque à un mammouth qu’il connaît parfaitement pour le pratiquer au quotidien, l’Éducation nationale.

Dans ce court roman délicieusement ironique, Jean met en scène Bruno Giboire, en reconversion es qualité de professeur de lettres au lycée André Malraux. Néophyte issu de la fonction publique territoriale, Giboire a la foi du charbonnier quant aux théories pédagogiques de Philippe Meirieu, qu’il n’est pas loin de sanctifier. Rééducation nationale est le récit de sa première année d’enseignement.

Patrice Jean nous plonge au cœur d’un système parfaitement décrit, nous offrant une galerie de portraits des plus jouissives, tant sa profondeur et sa justesse jusque dans la caricature font mouche. Du proviseur au prof gauchiste militant en passant par les supposés réacs ou fachos (entendre ceux qui privilégient la transmission des savoirs sur les ateliers pédagogiques et citoyens), la caricature se fond dans la réalité, ainsi avec le récit de l’inspection subie par Giboire, révélatrice d’une dérive pédagogiste de l’enseignement. La citation de l’inspectrice de lettres de Pays de la Loire en exergue du roman atteste de cette confusion inquiétante entre le réel et sa caricature, qui se constate par ailleurs dans le journalisme ou la politique. Tout bascule dans le monde idéal de Bruno Giboire quand il est proposé de vendre la statuette khmer offerte par André Malraux himself lors de l’inauguration du lycée pour financer des ateliers « pédagogiques et citoyens »…

Patrice Jean signe ici un grand roman sur l’Éducation nationale telle qu’elle va, c’est-à-dire de mal en pis, avec les résultats que l’on sait, constatés par toutes les personnes de bonne foi, les classements internationaux et dénoncés depuis vingt ans au moins par des enseignants compétents et dignes de ce nom, à l’instar de Jean-Paul Brighelli (La Fabrique du crétin, JC Gawsewitch Éditeur, 2005 ; La Fabrique du crétin 2 – Vers l’apocalypse scolaire, éditions de l’Archipel, 2022, entre autres). À la fois drôle et inquiétant, Rééducation nationale nous fait prendre conscience, si ce n’était pas déjà le cas, de l’urgence absolue de mettre un terme définitif aux délires pédagogos et de revenir aux fondamentaux, la transmission des savoirs et une école sanctuarisée, protégée des idéologies politiques ou religieuses, une école à-même de former des êtres libres et responsables.

Philippe Rubempré

Patrice Jean, Rééducation nationale, rue fromentin, 2022, 140 p.

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