Journal d'un caféïnomane insomniaque
jeudi novembre 21st 2024

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Le Bûcher des vanités – Tom Wolfe

Premier roman du créateur du Nouveau Journalisme américain Tom Wolfe, Le Bûcher des vanités a paru en 1987 aux États-Unis, et en dépit des révolutions technologiques qui ont suivi, n’a rien perdu de sa justesse, de sa cruauté et de son acuité.

L’ambitieux Sherman McCoy se prend pour un maître du monde. Champion de sa salle des marchés obligataires chez Pierce & Pierce, marié à une architecte d’intérieur en vue, heureux père d’une petite fille de six ans, appartement sur Park Avenue, Mercedes dernier cri, maîtresse charmante… rien ne semble devoir résister à ce Golden Boy. Jusqu’au jour où, allant chercher sa maîtresse à l’aéroport, McCoy se plante de sortie sur l’autoroute et s’empêtre dans les dédales du Bronx, quartier de haute insécurité des années 1980. Obligés de s’arrêter dans ce lieu de perdition, les amants voient deux Noirs s’approcher avec des grands gestes. Panique ! Que veulent-ils ? Les détrousser? Voler la Mercedes ? Apporter une aide inespérée ? Sorti de la voiture, Sherman leur balance un pneu tandis que sa maîtresse prend le volant. Il remonte en catastrophe dans la voiture qui recule, semble percuter quelque chose, et démarre en trombe pour fuir, Maria au volant, Sherman à la place du mort. Le doute s’instille de suite dans l’esprit de McCoy ; et s’ils avaient percuté un homme ? Blessé ? Tué ? Les jours suivants confirment sa crainte : un jeune étudiant Noir du Bronx, bien sous tout rapport, gît dans le coma après avoir été renversé par une Mercedes pilotée par un couple de Blancs. Sous l’influence du révérend Bacon, le Bronx s’agite. Le juge craint pour sa réélection. En désaccord sur la conduite à tenir, le couple illégitime se terre dans le silence, jusqu’à une enquête de routine de la police sur les propriétaires de Mercedes. Ainsi s’ouvre la descente aux enfers de Sherman McCoy…

Avec cette somme romanesque de 700 pages, Tom Wolfe croque avec délice les tares de la société new-yorkaise, entre communautarisme, racisme, m’as-tu-vu permanent, carriérisme, cynisme, hypocrisie, égoïsme et égocentrisme. Il dépeint une société qui n’a fait qu’amplifier ses travers avec la révolution numérique et la financiarisation du monde. Un monde de requins, de rapaces cyniques et sans état d’âme, qui broie la moindre résistance. Un monde dans lequel la vérité ne compte pas.

Les déboires de McCoy permettent à Wolfe de décrire de façon presque clinique le fonctionnement du système judiciaire américain, et ses relations troubles avec une presse ignorante de toute espèce de déontologie. Le roman en est glaçant de vérité, et les chaînes d’information en continu déversent quotidiennement les preuves de la profonde actualité de ce spectacle sinistre.

Le Bûcher des vanités, dont le titre évoque de manière explicite L’Ecclésiaste, dézingue simplement en les décrivant ces ultras-capitalistes qui se prennent pour les maîtres du monde, et dont les relais politiques en France et en Europe sapent avec constance notre histoire, notre identité, notre civilisation, crise après crise, émeute après émeute, jusqu’à la guerre civile ? La duplicité et la trahison sont leur modus vivendi. Point de vérité autorisée hors leur discours : minoritaires à l’extrême, ils tiennent les finances et l’essentiel de la presse. Récemment, la crise du Covid, et plus exactement sa gestion par les « élites » des démocraties dites libérales, en a été l’amère illustration…

Le constat jeté tel un pavé dans la mare par Wolfe il y a 36 ans est encore plus criant aujourd’hui. Prenons-en conscience en (re)lisant cet excellent roman qui acte ce que Philippe Muray dénonçait ainsi : « […] toute politique est devenue inutile parce qu’on peut combattre des idées mais jamais des intérêts (ceux-ci ne se laissent pas tuer). »

Philippe Rubempré

Tom Wolfe, Le Bûcher des vanités, [Éditions Sylvie Meissinger, 1988] Éditions de la Seine, 1989, coll. Les succès du Livre, 704 p.