Avec sa gouaille poivrée à l’argot des fortif’s, Alphonse Boudard, ex-tubard, ex-taulard, fait revivre la figure caméléonienne de Joseph Joanovici, ferrailleur juif né en Bessarabie (actuelle Moldavie) ayant accumulé une fortune immense en un temps record pendant l’Occupation en France. Il est probable qu’on ne connaisse jamais l’exacte vérité, le fin mot de l’histoire quant au charismatique et étrange Monsieur Joseph. Il est de ces personnages ambigus, juif fréquentant la Carlingue (la Gestapo française), le 93 rue Lauriston des sinistres Lafont et Bonny, le gratin du S.D. (Sicherheitsdienst, service de renseignement de la S.S.) et de l’Abwher (celui de la Wehrmacht) tout en faisant libérer, sonnant et trébuchant, juifs, malfrats ou résistants et en finançant des réseaux comme Honneur de la police…
Son procès à la fin de la guerre sera retentissant et déchaînera les passions. Finalement condamné pour ses relations économiques avec l’ennemi, Joanovici ne se remettra pas malgré une indéniable énergie vitale consacrée à défendre son honneur. Il terminera ses jours ruiné et malade, oublié de tous sauf de sa secrétaire, après avoir défrayé la chronique judiciaire des années d’après-guerre.
Boudard a croisé Monsieur Jo à la Santuche. Il a consulté les archives, rencontré les témoins. Son récit est une leçon d’histoire scandée en argot. Ici, les non-dits, les silences, les zones d’ombre incitent à l’humilité plus qu’au jugement à l’emporte-pièce. Bien malin qui saura la Vérité ; bien vantard et malhonnête qui prétend La connaître… L’étrange Monsieur Joseph, une preuve de la faiblesse des esprits manichéens.
Philippe Rubempré
Alphonse Boudard, L’étrange Monsieur Joseph, Pocket, 1998, 349 p.