Journal d'un caféïnomane insomniaque
samedi novembre 23rd 2024

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Kafka au candy-shop – Patrice Jean

Cette chronique a été revue et corrigée le 30 janvier 2024.

À l’heure de la ridicule et vaine polémique quant au choix de Sylvain Tesson comme parrain de l’édition 2024 du Printemps des Poètes, fruit de la veulerie, de l’inculture et de la lâcheté de ses signataires, paraît aux éditions Léo Scheer, dans la collection « Chez Naulleau », un salutaire essai signé Patrice Jean, répondant au titre étrange de Kafka au candy-shop, et sous-titré « La littérature face au militantisme ».

Mêlant avec brio humour, autobiographie et érudition, Patrice Jean défend une littérature du moi profond contre une littérature du moi social. Selon lui, la littérature ne peut – et ne doit surtout pas – être morale. Une bonne littérature heurte le lecteur ; elle le violente :

« Il faut vivre avec le mal, l’apprivoiser, le taquiner, le frapper, le circonscrire, mais ne pas se croire épargné par lui ni hors de ses griffes, et encore moins, petit soldat du bien, persécuter les autres au nom de cette position qu’on s’octroie arbitrairement en posant une couronne de vertu sur son propre chef. Vivre avec le mal, le dévoiler, pénétrer dans sa grotte, c’est la mission de la littérature [je souligne]. L’une de ses missions. Elle nous apprend à percevoir le mal dans les autres et en soi, elle le met en scène, le débusque sous ses masques de vertu. »

Patrice Jean, op. cit., pp. 20-21.

Le lecteur ne saurait sortir indemne d’un texte de littérature : la littérature est cet art de l’écrit qui métamorphose son lecteur, lequel n’est pas tout à fait le même une fois le livre refermé.

Proust contre « Sainte-Bave », pour reprendre le mot de Victor Hugo (ainsi surnommait-il le critique Sainte-Beuve, auteur des Causeries du lundi, accessoirement amant d’Adèle Foucher, son épouse). La littérature contre l’enquête policière. L’aventure contre la leçon. Nous regrettons avec Patrice Jean que les romans vantés aujourd’hui par les médias de grands chemins et les éditions ayant pignon sur rue ne soient trop souvent que moraline de papier et anathèmes grimés en vague romanesque. Il n’y a aucun risque à être dans l’air du temps et à dézinguer les tabous de l’époque. Tous ces écrivants décrits rebelles, courageux, engagés, ne sont en réalité, dans la majorité des cas, que des « mutins de Panurge » et des « rebellocrates » (Philippe Muray). Pour le dire autrement, littérature et militantisme ne font pas bon ménage.

Pour en être convaincu, lisez Kafka au candy-shop – et en passant, les romans de Patrice Jean, notamment L’Homme surnuméraire et Rééducation nationale (rue fromentin, respectivement 2017 et 2022), qui illustrent ce travers de notre temps en le brocardant joyeusement. Et lisez aussi Tesson, ne serait-ce que pour emmerder les pétitionnaires et autres apprentis censeurs à la noix de coco. Il n’est pas impossible que vous preniez plaisir à (re)découvrir cet écrivain-voyageur… En tout cas, Patrice Jean comme Sylvain Tesson sont deux écrivains de littérature dans la France du XXIème siècle. Je n’en dirais pas autant d’autres gloires contemporaines de l’édition que seul un résidu de charité chrétienne m’interdit de citer.

Philippe Rubempré

Patrice Jean, Kafka au candy-shop, Éditions Léo Scheer, collection « Chez Naulleau », janvier 2024, 157 p.

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