Ab hinc… 311

« Peu m’importent les classes sociales, il peut y avoir des bourgeois aussi bien parmi les nobles que parmi les ouvriers et les pauvres. Je reconnais le bourgeois non à son costume et à son niveau social, mais au niveau de ses pensées. Le bourgeois a la haine du gratuit, du désintéressé. Il hait tout ce qu’il ne peut s’élever à comprendre. » – André Gide
(Je souligne).
Ab hinc… 310 et Joyeux Noël !

« La juste place de la noblesse est évidemment aux côtés du peuple, et un aristo qui ne le comprend pas n’est pas digne d’être né. Qu’elle soit incarnée par Louis-Philippe, Macron ou quiconque, la bourgeoisie d’argent sera toujours l’ennemie des honnêtes gens. » (Je souligne).
Louis-Henri de la Rochefoucauld, « Instinctivement du côté des Gilets jaunes », entretien avec Nicolas Gauthier, in Éléments n°193, décembre 2021-janvier 2022.
Des nouvelles de l’Amitié – Collectif
Celui qui n’est plus ton ami ne l’a jamais été.
Aristote

Qu’en est-il de l’Amitié à l’heure des NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication) ? C’est ce qu’a voulu savoir Sylvie Payet en réunissant 43 auteurs (dont votre serviteur) qui ont répondu sous des formes hétérogènes, de la nouvelle au sonnet. 43 auteurs et autant de visions de l’Amitié, celle avec un grand A, celle qui survit à tout, y compris à ce tyran de poche baptisé smartphone (« téléphone intelligent » ! mon c… ! Abrutissant serait plus honnête !). Publié aux éditions Terres de l’Ouest, ces nouvelles de l’Amitié sont à la hauteur du défi par la qualité et la diversité des différentes contributions.
On y retrouve quelques écrivains déjà chroniqués dans ces pages, à commencer par Thomas Morales, dont la plume singulière se reconnaît dès les premières lignes, sans oublier François Jonquères, à qui je dois ma participation à ce recueil, ni François Cérésa, dont nous avions lu et goûté Le Petit Roman de la Gastronomie. Nous retrouvons avec plaisir la malice du roi des Parisiens, Alain Paucard, dont l’humeur nous enchante. Et ce recueil est aussi l’occasion de belles découvertes, ainsi, parmi d’autres, nous avons été touché par la nouvelle de Sylvie Teper, Passage à vide, si juste sur le vide abyssal de la « start-up nation », ou par les vers libres d’Éric Neirynck.
Chaque auteur présent honore l’Amitié de sa plume et de sa singularité ; indépendamment des atomes crochus propres à nos inclinaisons personnelles, chacun apporte sa pierre à la célébration de la plus belle et la plus noble des vertus, l’Amitié.
Voilà donc le recueil à offrir à vos amis. Donnez-leur de vos nouvelles, Des nouvelles de l’Amitié.
Philippe Rubempré
Collectif, Des nouvelles de l’Amitié, préface de Sylvie Payet, éditions Terres de l’Ouest, novembre 2021, 263 p., 15 euros.
Mademoiselle Baudelaire – Yslaire
À Vanessa, Jessica et Julien, en souvenir d’un chouette anniversaire.

Mademoiselle Baudelaire est une biographie dessinée de Charles Baudelaire, peint dans un courrier adressé à madame Aupick, mère du poète, par sa maîtresse, la tumultueuse et voluptueuse Jeanne Duval, surnommée Mademoiselle Baudelaire. De ce parti-pris original, l’immense Yslaire tire un très bel ouvrage aux dessins magnifiques, sublimés par une recherche sur les couleurs. Yslaire plonge le lecteur au cœur de la vie torturée de l’immortel auteur de « L’Albatros », faisant jaillir de son pinceau des noirs et blancs et des camaïeux sombres créant une ambiance crépusculaire teintée d’érotisme et baignée de poésie.
La genèse des Fleurs du mal est dessinée ici, sa relation avec Jeanne Duval, la muse, à la fois chevelure et charogne, mais aussi aux femmes d’une manière générale, aux paradis artificiels, à sa mère et son beau-père, le général Aupick. L’ensemble est émaillé de vers du poète. Nonobstant la part d’imagination inhérente au support, cette biographie dessinée n’est pas dénuée de qualités historiques, et offre une introduction charmante et charmeuse à l’œuvre de Baudelaire.
Mademoiselle Baudelaire, quand le paradis épouse l’enfer, pour redécouvrir Baudelaire, un cadeau à faire !
Philippe Rubempré
Yslaire, Mademoiselle Baudelaire, Dupuis, coll. Aire Libre, avril 2021, 160 p.
Retour sur les Aventures de la Chevalière, d’André Hodeir
Le diptyque historique d’André Hodeir, Les Aventures de la Chevalière et La Chevalière et le panache blanc, romans destinés à la jeunesse, est, à la relecture, d’une actualité saisissante, et mérite une belle réédition. Depuis qu’ils m’ont été offerts, je les relis au moins une fois l’an – leur état en témoigne ; cela me redonne de l’espoir.

S’étalant de Charles IX à Henri IV, au cœur des Guerres de religion, ces deux romans mettent aux prises personnages et événements historiques avérés avec une galerie de personnages de fiction absolument truculente, à commencer par leur héroïne, la Chevalière Ermangarde de Samantha. Montée à Paris pour participer au tournoi d’escrime du roi Charles IX, elle n’est vaincue qu’en finale contre une fine lame historique, Bussy d’Amboise. Elle est alors âgée de douze ans, ce qui lui vaut le surnom de « Petite Chevalière ». À cette occasion, elle rencontre Armando, pâtissier de la reine-mère Catherine de Médicis, lequel restera une amitié fidèle, et Henri de Navarre, prince protestant fiancé à Marguerite de Valois (la future reine Margot), « invité » au Louvre, au service duquel elle met son épée, étant elle-même parpaillote.
D’une fidélité sans faille à Henri de Navarre, la Chevalière sert aussi à l’occasion le roi de France. Ce sont ses aventures que nous dévorons avec un plaisir non dissimulé, jusqu’à la veille du sacre d’Henri IV. André Hodeir nous fait revivre ainsi cette période troublée et encore traumatisante des Guerres de religion.
Sans ce traumatisme, en effet, sans les réminiscences qui ont suivi avec l’abolition de l’Édit de Nantes (1598, autorisant le culte protestant dans le royaume sous certaines conditions) par l’Édit de Fontainebleau (1685, adopté par Louis XIV), les dragonnades qui ont suivi, la révolte des Camisards et j’en passe, aurions-nous adopté la loi du 9 décembre 1905 portant Séparation des Églises et de l’État ? Cette fameuse et décriée laïcité à la française, unique au monde par sa rigueur (et qui ne consiste pas à interdire les crèches, les calvaires ou les statues de saints, avis aux ignares et aux faux derches), est aussi le produit de ces conflits fratricides entre religions et vise à les éviter. Ce que d’aucuns oublient, ou veulent faire oublier, avec des intentions inavouées parce qu’inavouables.
Cependant, si le diptyque traite (aussi) de tolérance religieuse, ce n’est en rien un traité de moraline pour donneurs de leçons. La vertu qui y est célébrée est l’Honneur, partout valorisé. Hodeir nous fait ainsi revivre l’assassinat du duc de Guise, chef de la Ligue catholique, par les Quarante-Cinq, la garde personnelle du roi Henri III. Le roi a demandé initialement à Crillon de l’assassiner, ce qu’il refusa, préférant le provoquer en duel. Ce ne fut pas l’option retenue par Henri III. L’honneur n’est pas l’apanage de Crillon, la Chevalière, apprenant par hasard le dessein du roi, essaya à son tour de prévenir le papiste Guise, bien qu’elle fût parpaillote et son ennemie. Un ennemi se combat à la loyale, voilà ce qui est défendu ici. L’actuelle foire à l’encan présidentielle illustre parfaitement le fait que l’Honneur n’est plus une vertu chez les politocards.
Par ailleurs, les romans d’André Hodeir sont intéressants sur le plan littéraire, quand bien même ils sont classés romans pour la jeunesse. La jeunesse y retrouvera bien entendu les codes du roman et une solide base de culture historique, mais aussi le théâtre et la poésie en vers. Les dialogues sont présentés à la manière théâtrale, didascalies incluses, et nombre de personnages taquinent la muse. La musique n’est pas oubliée – André Hodeir était lui-même violoniste, compositeur et arrangeur. La plume est truculente à l’image de la grande histoire de France. Les émotions jaillissent et vous saisissent au cœur de cette saga bovarysante en diable !

Enfin, Les Aventures de la Chevalière sont pleines d’humour, entre calembours et personnages secondaires qui ne sont pas piqués des vers, au premier rang desquels l’inénarrable baron de l’Escalope. Espion nabot à la chevelure rouge, traître, professionnel du camouflage et de la roublardise, tout acquis à la cause de la Ligue, il s’acharne à contrecarrer Henri de Navarre pour que ce prince protestant ne puisse devenir roi de France. L’Escalope y déploie une inventivité tout à fait réjouissante ! Son récit de la bataille d’Arques, une défaite de la Ligue, est hilarant. Toute la mauvaise foi, le jésuitisme et la sournoiserie du baron transpirent dans cette lettre adressée à son épouse, qu’il affuble de surnoms tous plus cocasses les uns que les autres.
Roman historique pour la jeunesse, certes, le diptyque d’André Hodeir ne souffre pour autant aucune interdiction aux adultes. Vous lirez Les Aventures de la Chevalière et La Chevalière et le panache blanc avec autant de plaisir qu’un bon roman d’Alexandre Dumas père !
Philippe Rubempré
André Hodeir, Les Aventures de la Chevalière,suivi de La Chevalière et le panache blanc, L’Ami de Poche Casterman, mars et août 1983, 191 & 222 p.