Journal d'un caféïnomane insomniaque
jeudi juillet 10th 2025

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Toro – Eric Schilling

    À la frontière ténue entre le récit et l’essai, Eric Schilling offre avec Toro une analyse – et une défense – toute singulière de la tauromachie. N’étant pas aficionado, ce n’est ni ma culture, ni ma région, je ne connaissais de la tauromachie que la fascination qu’elle a exercé sur des talents aussi divers – toute considération esthétique mise à part – que Picasso, Montherlant, Leiris ou Hemingway, ainsi qu’un vieux film hollywoodien dont le titre français est Les Arènes sanglantes (Blood and sand, de Rouben Mamoulian, 1941, avec Tyrone Power, Linda Darnell, Rita Hayworth et Anthony Quinn). La lecture du petit bouquin de Schilling (à peine 150 pages) fut pour moi une découverte, assez déconcertante .

L’auteur, professeur de philosophie, est aficionado par tradition familiale, du côté de sa mère. Son ouvrage tient à la fois de l’essai philosophique, du traité artistique, de la puissance érotique et du récit autobiographique. C’est souvent percutant – je pense aux considérations de Schilling sur le rapport à la cruauté, sur la métaphore taurine de la condition humaine et du sacrifice, ou sur l’érotique de la tauromachie – et parfois déroutant, voire presque incongru à la première lecture – je pense à la relation qu’il fait d’un rapport sexuel entre deux de ses amis que nous qualifierons pudiquement de « tauromachique » (pp. 88-90).

Cette curiosité publiée en 2013 chez Michel de Maule mérite le détour par son approche de la tauromachie à la fois iconoclaste et empreinte de dévotion, replaçant cette passion au coeur du tragique de la vie et lui rendant sa religiosité sacrificielle. Schilling admet parfaitement que la tauromachie puisse écoeurer, rebuter, dégoûter, choquer. Il a su replacer cette tradition dans son contexte et propose une analyse taurine qui interpelle et donne à réfléchir au-delà même de la tauromachie, sans agresser le moins du monde les opposants à la corrida. On me permettra de douter de la réciproque, ces derniers étant intimement convaincus de la légitimité de leur combat (honorable) sans être une seconde à-même d’envisager qu’un autre puisse penser différemment sans être réactionnaire, dangereux, assassin, cruel… Classique défaite de la pensée de plus en plus victorieuse en nos temps d’animalisation, de diabolisation ou de psychiatrisation de ceux qui osent ne pas aller dans le sens du progrès et du bien.

Sic transit gloria mundi… Laissons les bonnes âmes du Bien universel et indiscutable se complaire dans leur certitude et laissons le dernier mot à Jacques Brel.

 

Philippe Rubempré

Eric Schilling, Toro, Editions Michel de Maule, 2013, 147 p.

Lectures octobre

  • Sex Game Book. Histoire culturelle de la sexualité – Denyse Beaulieu
  • Le crépuscule de la France d’en haut – Christophe Guilluy
  • Chances – Horacio Altuna
  • Un cobaye pour l’éternité – Hermann
  • Julius et Romea – Hermann
  • Ogenki Clinic – Haruka Inui
  • L’Histoire se répète toujours deux fois. La France est-elle condamnée à revivre son passé ? – Dimitri Casali – Olivier Gracia
  • Tierra del Fuego – Francisco Coloane

Lectures septembre

  • Le Coeur Rebelle – Dominique Venner
  • Un rêve en Lotharingie – Jean-Claude Pirotte
  • Balzac, une vie de roman – Gonzague Saint Bris
  • L’État sauvage – Georges Conchon
  • Du Mammouth au Titanic, la déséducation nationale – Anne-Sophie Nogaret
  • C’est le Français qu’on assassine – Jean-Paul Brighelli
  • En terrain miné – Élisabeth de Fontenay, Alain Finkielkraut
  • Bienvenue dans le pire des mondes. Le triomphe du soft totalitarisme – Natacha Polony & le comité Orwell
  • Voyage à reculons en Angleterre et en Écosse – Jules Verne

Ab hinc… 264

    « Dans une foule, même composée en bonne proportion de rigolos et d’exhibitionnistes, c’est la moralité qui l’emporte. Flamberge au vent, mais pruderie en tête. Civilisation ou pas, vous trouverez toujours trop de quakers. » – Georges Conchon, L’État sauvage

Un patachon dans la mondialisation – Thomas Morales

    Le vingtième siècle eut Vialatte ; le vingt-et-unième, entre autres et dans des styles très différents, a Muray et Oberlé, auquel il faut désormais ajouter Thomas Morales. Leur point commun : l’art de la chronique. Saluons ici la sortie (courant septembre) du dernier né de Thomas Morales, Un patachon dans la mondialisation.

Composées dans la veine de leurs grandes soeurs d’Adios, ces chroniques empreintes de nostalgie vivante et joyeuse réchauffent nos ventres creux à force de marcher vers le néant globalisé. Morales n’écrit pas pour (ni sur) les baudruches contemporaines, vides, sans histoire, sans mémoire (si ce n’est celle de leur ordinateur ou de leur téléphone prétendument intelligent), sans racines, sans goût, sans culture, bref, sans humanité. Ces êtres de vitesse absconse et de communication creuse (pléonasme), ces valets du Saint-Fric en marche sont essentiellement incapables de goûter la plume douce amère de ce mousquetaire de la chronique, cette plume qui nous met du baume au coeur comme le whisky du dimanche soir. Les chroniques de Morales nous rappellent à chaque ligne, au détour d’un film de Belmondo ou d’une Partie de chasse en Sologne qu’il est bon de vivre et que la vie ne se résume pas aux tribulations de l’ersatz consommateur eco-citoyen à la mord-moi le calibistri qu’on voudrait nous imposer.

Qu’il est agréable de se replonger chez le Caporal épinglé Jacques Perret et dans son adaptation cinématographique par Renoir, d’avoir les yeux qui brillent à l’évocation d’une actrice de légende, ou de s’enflammer pour les voitures d’une époque où l’automobile rimait avec art de vivre. Qu’il admire ou qu’il griffe, Thomas Morales tire droit au but et sonne juste. Lisez, relisez et faites lire sa Lettre à un jeune écrivain. Surtout en ces temps de rentrée littéraire et de surdose d’imprimés. Elle est d’une drôlerie et d’une profondeur à méditer ! Cela ne fait pas de doute, au coeur de cette mondialisation où le vide le dispute à la sauvagerie, Thomas Morales est un patachon de choix et partage ses passions avec plume et humour. Vivent les patachons !

 

Philippe Rubempré

Thomas Morales, Un patachon dans la mondialisation, Éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2017, 190 pages.

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