Journal d'un caféïnomane insomniaque
samedi juillet 27th 2024

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Introït

On n’écrit pas parce qu’on a quelque chose à dire mais parce qu’on a envie de dire quelque chose.

E.M. Cioran, Ébauches de vertige, 1979.

 

Une Lecture – Roland Cailleux

Bruno Quentin est un entrepreneur heureux, qui gère le magasin de verrerie familial, en veillant sur les études de son jeune frère Gérard, entre sa maîtresse, Dora, une comédienne, et son ami Armand, professeur de lettres quelque peu original. Jusqu’au jour où il se découvre tuberculeux et doit abandonner affaires, famille et dulcinée pour se soigner à Grasse, dans le Sud. C’est là qu’il entame la lecture d’À La Recherche du Temps perdu, de Marcel Proust, dont il avait aperçut un volume sur un guéridon chez son amante. Dès lors, la vie de Bruno est bouleversée…

Nous suivons donc Bruno dans ses pérégrinations curatives et proustiennes. Roland Cailleux nous offre là, à travers la voix et les conversations de son héros, à la fois une introspection du personnage et une lecture complète du roman-fleuve de Proust ; d’où le titre de son roman, Une Lecture, qui procède de « l’influence de Proust sur un marchand de verrerie », ainsi que le note Alexandre Vialatte. Ce dernier tape juste en écrivant dans sa préface que « Cailleux est un grand écrivain », qui « a fait tenir tout Proust [dans Une Lecture] , comme un grand pardessus dans une petite valise. »

Si vous êtes déjà lecteur de Marcel Proust, vous trouverez avec Une Lecture un contrepoint de grand style à votre propre vécu littéraire ; si, au contraire, À la Recherche du Temps perdu est pour vous une lecture intimidante, voire rebutante – sa longueur, ses phrases réputées interminables… – alors le roman de Roland Cailleux peut vous offrir une porte d’entrée, un sésame pour appréhender Proust, une véritable invitation à plonger dans son œuvre.

Avec Une Lecture, Roland Cailleux, écrivain injustement méconnu, décédé en 1980, signe un chef d’œuvre véritable – et ici (pour une fois), l’expression n’est en rien galvaudée !

Philippe Rubempré

Roland Cailleux, Une Lecture, préface d’Alexandre Vialatte, [Éditions Gallimard, 1948], Motifs, 2007, 477p.

Ab hinc… 379

« Le mal, c’est l’impatience du bien. » – Tertullien

Éloge du duel – Bernard Lugan

« Ayant donc compris qu’il était inutile de continuer à enrichir la basoche en intentant des actions en justice, je me suis alors tourné vers le duel. Car, qu’on le veuille ou non, ce dernier est en effet le moyen le plus rapide, le plus efficace et le moins onéreux de rendre enfin prudents plumitifs stipendiés, acrobates du micro, butors de la sous-culture et baises-cul de l’idéologie dominante. »

Bernard Lugan, p. 12.

Nous connaissions Bernard Lugan africaniste, expert près le tribunal pénal international pour le Rwanda, pour sa plume mousquetaire et son style… inimitable ! Le voici de retour, es qualité de Président-fondateur de l’Association pour le rétablissement du duel en matière de presse (ARDMP), cofondée avec l’écrivain Vladimir Volkoff et l’historien Dominique Venner, qui nous livre un jubilatoire Éloge du duel, judicieusement sous-titré « L’honneur au-dessus de la vie », qui tient à la fois de l’histoire, de l’éloge et du plaidoyer.

En quelque 150 pages (bibliographie incluse), Bernard Lugan rétablit ce qu’est et ce que n’est pas le duel, explique les différences essentielles entre duel à l’épée ou au sabre et duel au pistolet, et en expose la philosophie. Loin d’être barbare ou cruelle, la philosophie du duel s’avère aristocratique au sens étymologique du terme, le courage au service de l’honneur, deux vertus en déperdition aujourd’hui. L’auteur brosse l’histoire épique du duel à travers de nombreux exemples célèbres et/ou édifiants, et des portraits de duellistes de chair et de plume fameux (Cyrano, Jarnac, Blum, Maurras, Alexandre Dumas, Clemenceau, Gaston Deferre…), magnifiés par sa truculence et son sens de la formule.

Non sans une ironie malicieuse, Lugan conclut son essai par une lettre adressée au Ministre de l’Éducation nationale, copie au Gardes des Sceaux, dans laquelle il propose ni plus ni moins de « rendre obligatoire, et naturellement éliminatoire, l’enseignement du combat à l’épée et au sabre dans les écoles de journalisme », l’auteur considérant en effet, au vu de la crise de la presse actuelle, amenée à s’amplifier, qu’« au-delà de son aspect apparemment insolite, une telle discipline, à la fois hautement formatrice et directement pédagogique, permettrait indubitablement de désengorger en amont les salles de rédaction emplies de nombreux fats présomptueux ». Sans compter les économies de temps et d’argent pour la Justice française, qui souffre tant de leur manque depuis tant d’années…

Avec son Éloge du duel, Bernard Lugan s’offre – et nous offre – un véritable pied-de-nez à notre époque où la victime s’est érigée en reine… (du moins jusqu’à ce qu’une victime plus victime qu’elle lui pique sa place en la renvoyant dans le camp des bourreaux et des inénarrables et pavloviennes Z-heures-les-plus-sombres).

Philippe Rubempré

Bernard Lugan, Éloge du duel. L’honneur au-dessus de la vie, Éditions de la Nouvelle Librairie, 2023, 153 p.

Ab hinc… 378 – Dédicace aux tartuffes contemporains, trop nombreux pour être cités…

… et qui ne méritent aucune publicité.

Ils (et elles, of course) se reconnaîtront. Ph. R.

« Si vous croyez en la liberté d’expression, vous croyez alors dans la liberté de parole pour les opinions qui vous déplaisent également. Goebbels était en faveur de la liberté de parole pour les opinions qu’il aimait… Staline, de même. » – Noam Chomsky

Le plus beau pays du monde – Valentin Schirmer

Après Le Tour de France de deux enfants, de G. Bruno, un des livres de chevet de mon enfance,ou les tribulations d’un Philibert Humm à travers une France baroque, bistrotière, seul ou en compagnie de son complice Adrian, voici que le tout jeune journaliste Valentin Schirmer, la petite vingtaine, rédacteur en chef de L’Étudiant libre et rédacteur en chef adjoint de Tocsin, nous invite à le suivre dans son tour de France cycliste.

Si la performance sportive (choix pour le moins singulier du VTT pour faire de la route…) et les ennuis mécaniques sont au rendez-vous de ce périple estival, ce sont les rencontres que Schirmer fait au fil de son voyage qui lui donnent toute sa saveur. Le sous-titre est ici éloquent : « la France à vélo, les Français à l’improviste ». L’auteur a en effet promis à son père de se loger chez l’habitant, sans plan préétabli. D’où ses rencontres avec des gens simples, mais pas simplistes, des Français du quotidien (ce qui leur vaudrait probablement d’être taxés de populistes voire pis par les « journalistes » de Quotidien) avec leurs problèmes terre-à-terre, loin des élucubrations bruxelloises (et de celles d’Antoine). Ils subissent de plein fouet la mondialisation (forcément) heureuse (puisque Attali et Minc vous le disent !), la déconnexion des élites globalisées au pouvoir, quoique minoritaires dans le pays – comme viennent de le montrer les élections européennes et législatives –, si bien incarnées par celui qui se compare volontiers à Jupiter. Ce peuple français des provinces va envers et contre tout de l’avant, au gré de ses joies et de ses peines ; il se révèle souvent hospitalier et généreux (nous sommes à l’été 2020, en pleine crise du Covid), parfois frileux, rarement odieux – toujours en contradiction avec l’image de beauf dont les médias dits mainstream voudraient l’affubler – et l’affublent trop souvent.

La richesse de ces rencontres conduit Valentin Schirmer à prolonger son odyssée initialement prévue des Ardennes aux Pyrénées en passant par les Alpes et le Sud jusqu’en Bretagne, avant un retour à Charleville-Mézières. Ce récit, par ailleurs fort bien écrit, est tout à fait réjouissant. Réjouissant car il nous montre une France généreuse et hospitalière plus vivante que jamais ; réjouissant car il nous montre une jeunesse française encore capable d’aventure et d’audace, ne se résumant pas aux crétin.e.s (je reste poli) scrollant leur saloperie de portable en jogging sur fond de mauvais rap ou de techno abrutissante.

Une douce respiration à l’aube de cet été 2024 qui se profile étouffant pour nos libertés.

Philippe Rubempré

Valentin Schirmer, Le plus beau pays du monde. La France à vélo, les Français à l’improviste, Les Éditions du Verbe Haut, 2024, 166 p.

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