Journal d'un caféïnomane insomniaque
vendredi juin 20th 2025

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Introït

On n’écrit pas parce qu’on a quelque chose à dire mais parce qu’on a envie de dire quelque chose.

E.M. Cioran, Ébauches de vertige, 1979.

 

Échec et mat au Paradis – Sébastien Lapaque

« Cette rencontre que j’aurais aimé imaginer à Belo Horizonte, en septembre 1940, a donc réellement eu lieu, sur les hauts plateaux du Minas Gerais, un jour de l’été austral, en 1942. En janvier, plutôt vers la fin d’après les recoupements des chercheurs brésiliens qui ont reconstitué l’emploi du temps de Stefan Zweig avant son suicide. Très peu de jours, donc, avant sa mort, son renoncement à la vie. »

Sébastien Lapaque, pp. 44-45.

Le 23 février 1942, à Petropolis, dans l’état de Rio de Janeiro, au Brésil, l’écrivain Stefan Zweig se donnait la mort en compagnie de sa seconde épouse Lotte. Autrichien et juif, il avait fui l’Autriche et le nazisme pour la Grande-Bretagne, notamment, d’où, devenu suspect avec la déclaration de guerre en septembre 1939, il s’est exilé en Amérique du Sud, quittant définitivement sa chère Europe. « Adieu, vieille Europe, que le Diable t’emporte… », dirait Claude Rich dans Le Crabe-Tambour de Pierre Schoendoerffer… La veille de son suicide, Zweig laissait une lettre d’adieu dans laquelle il écrivait notamment :

« […] je pense qu’il vaut mieux mettre fin à temps, et la tête haute, à une existence où le travail intellectuel a toujours été la joie la plus pure et la liberté individuelle le bien suprême de ce monde. » (je souligne).

Quelques temps auparavant, début 1942, l’écrivain en exil rend visite à Georges Bernanos en sa retraite de la Croix-des-Âmes, à Barbacena, état du Minas Gerais, 215 kilomètres de Petropolis environ. Que vient faire l’écrivain juif Stefan Zweig chez l’(ex)-maurrassien catholique Bernanos ? C’est tout le travail d’enquête de l’auteur de ce livre palpitant.

Avec Échec et mat au Paradis, Sébastien Lapaque s’engage dans un voyage au long cours dans les pas de Zweig et Bernanos au Brésil ; il y effectue plusieurs voyages ; apprend la langue portugaise ; rencontre témoins et descendants… et parvient à retracer une histoire et à recréer un dialogue, dont il n’existe nul stigmate, entre l’intransigeant catholique Bernanos et l’Européen juif Zweig, deux idéalistes à leur manière, dont la rencontre sublimera les différences.

Plume racée, récit admirablement composé, conté de voix de maître et suscitant l’envie folle de se (re)plonger dans les œuvres de Stefan Zweig et Georges Bernanos.

Philippe Rubempré

Sébastien Lapaque, Échec et mat au Paradis, Actes Sud, septembre 2024, 336 p.

Un cœur pur – Maxime Dalle

« À peine échappés de notre hôtel, je sens la présence de l’ange gardien de Milou et de son gentil petit diable alcoolique. Archibald […] semble porter une tour de Pise branlante. Son sac bleu dégueule de partout. Le coquin rêve déjà de bière glacée. Je la vois scintiller dans ses yeux. Shylock, quant à lui, avance fièrement en tête de cortège comme le capitaine Haddock au départ de l’ascension. Nous sommes sous la protection de notre imaginaire et rien, pas même le migou, ne nous arrêtera. »

Maxime Dalle, p. 99.

Maxime Dalle est un jeune aventurier littéraire et intrépide, entre autres cofondateur de la gazette Raskar Kapac ou marin dans le sillage de Jean Bart en pleine pangolinite aiguë. Dernier forfait en date : partir sur les traces de Tintin au Népal, non en compagnie d’Haddock à la recherche de Tchang, mais avec deux amis, Archibald et Shylock. La joyeuse confrérie s’engage dans les pas d’un cœur pur, capable de tout abandonner séance tenante sur une intuition pour voler au secours d’un ami.


Plus qu’une relation de voyage, Un Cœur pur est une ode à l’Amitié avec un grand A ; Amitié vécue lors du périple népalais ; Amitié idéalisée à travers les duos hergéens Tintin / Haddock d’une part, Tintin / Tchang de l’autre ; Amitiés remémorées dans une première partie aux accents autobiographiques… Chez Maxime Dalle, l’Amitié s’éprouve dans l’Aventure, à hauteur d’enfant, à bord du Pink Floyd commandé par le capitaine Patrick Tabarly, ou à l’assaut de l’Himalaya en compagnie d’Archibald et Shylock.


Le cœur pur, c’est bien sûr Tintin dans son périple tibétain ; c’est encore Haddock qui contre vents et marées (et contre lui-même) soutient son ami, quoi qu’il lui en coûte ; c’est aussi celui qui, à l’heure de la globalisation ultra individualiste et omniconnectée, résiste à la marchandisation et à la technicisation à outrance du monde qui nous enserrent dans leurs toiles virtuelles et en même temps ô combien concrètes. Le cœur pur, dans ce contexte, est celui qui promeut et défend des valeurs et des principes vrais – Amitié, Famille, Liberté, Aventure, Vie – non pas par la propagande, la publicité ou le prosélytisme, mais simplement en Étant. En vivant en conformité avec ses idéaux dans la mesure du possible. « Des faits et non des mots », écrivait le général Bigeard dans ses mémoires (De la brousse à la jungle, éditions du Rocher, 2002).


Maxime Dalle, à n’en pas douter, aspire à être un cœur pur, et nous invite à emprunter ce chemin. Laissez-vous séduire par la plume enjouée, et parfois facétieuse, de ce trentenaire pour qui le verbe Vivre se conjugue avec une majuscule !

Philippe Rubempré

Maxime Dalle, Un Cœur pur. Sur les traces de Tintin au Népal, Éditions Herodios, 2025, 178 p.

L’Extrême Droite expliquée à Marie-Chantal – Frédéric Saint Clair

Sous ce titre taquin, d’aucuns diront provocateur, Frédéric Saint Clair, politiste et ancien conseiller de Dominique de Villepin, éclaire un concept trop souvent employé à tort et à travers, ses usagers se gardant bien de le définir, la fameuse extrême droite… Cet anathème qui évite de se battre, donc de débattre en démocratie, en disqualifiant l’adversaire a priori.

« C’est donc fort de ces trois critères que je suis revenu à l’assaut de la forteresse bourgeoise, questionnant Marie-Chantal [archétype de la bourgeoise macroniste, N.D.R.] sur les motivations cachées d’un Éric Zemmour, d’une Marine Le Pen ou d’un Éric Ciotti. Pense-t-elle sérieusement que ces trois éléments, le coup d’État, la dictature et la discrimination, puissent être conjointement présents dans l’agenda politique, fût-il caché, de ces personnalités ? Qui peut croire cela ? Qui peut croire que Marine Le Pen fomente en secret un coup d’État ? Qui peut croire que les membres du Rassemblement national rêvent d’une dictature ? Marie-Chantal a convenu avec l’honnêteté intellectuelle qu’on lui connaît qu’effectivement, au regard de ces trois critères, le terme « extrême droite » n’était pas applicable… »

Frédéric Saint Clair, p. 32-33.

Un essai riche, en partie dialogué, compréhensible par tous et (très bien) sourcé, à mettre en toute les mains qui ne se satisfont pas de l’accusation paresseuse et lancinante d’extrême droite pour tout ce qui ne va pas dans le sens du vent progressiste.

Philippe Rubempré

Frédéric Saint Clair, L’Extrême Droite expliquée à Marie-Chantal, Éditions La Nouvelle Librairie, février 2024, 247 p.

Lectures mai

  1. Discours des fleuves de sang – Enoch Powell
  2. Un Effondrement parfait – Jérôme Leroy
  3. L’Appel de Cthulhu – H. P. Lovecraft
  4. Le Slynx – Tatiana Tolstoï
  5. Par-delà le mur du sommeil – H. P. Lovecraft
  6. À rebours – Joris-Karl Huysmans
  7. Sous l’étoile de la liberté – Sylvain Tesson, photographies de Thomas Goisque
  8. Tosh et ses plans Q – Saynot
  9. La Tourbière hantée – H. P. Lovecraft
  10. La Peur qui rôde – H. P. Lovecraft
  11. L’Exposition universelle – E. L. Doctorow
  12. Il faut parfois trahir – Kamel Daoud
  13. Robinson Crusoé – Daniel Defoe, adaptation et scénario Christophe Lemoine, dessins et couleurs Jean-Christophe Vergne
  14. Mémoires identitaires. 1968-2025 les dessous du Grand Basculement – Jean-Yves Le Gallou
  15. Portraits anecdotiques de Jean Gabin à Jany Le Pen – Jean-Paul Chayrigues de Olmetta
  16. Le Cercle – Dave Eggers
  17. La Gula – Efsy Washington
  18. Schoolgirls #2 – Nill & Doni
  19. Don Quichotte et ses fantasmes – Alberto Manguel
  20. Kiff #3 Adorables et cruelles – Max Sulfur
  21. Sexe contre énergie. Petite histoire des relations homme / femme – Frédéric Delavier
  22. Y’a pas de mystère dans le sexe – Charlotte de Buzon & Valentine Birnbaum

Pour Boualem Sansal – Collectif

« Dans un pays libre, on punit les gens pour leurs crimes, pas pour leurs opinions. »

Harry Truman

« La liberté d’expression, c’est la possibilité de dire à l’autre ce qu’il n’a pas envie d’entendre. »

George Orwell

L’écrivain franco-algérien Boualem Sansal a été arrêté à l’aéroport d’Alger le 16 novembre 2024, sous le grief grotesque et hypocrite d’avoir remis en question les frontières ouest1 de l’Algérie2 dans un entretien accordé au média dit d’extrême-droite (par tous les perroquets et les paresseux qui ne se sont jamais donné la peine de le lire ou de l’écouter3) Frontières. Sansal est devenu un pion sur l’échiquier fangeux des relations empoisonnées entre l’Algérie et la France. L’écrivain a finalement écopé d’une peine de cinq années de prison fermes (contre dix années requises). Il est, à l’heure où j’écris ces lignes, incarcéré à Alger.

Largement ignorée du grand public, l’arrestation de Boualem Sansal n’a suscité que trop peu de protestations ; une réaction veule et timorée du pouvoir ; et beaucoup trop de oui, il ne faut pas arrêter un écrivain, mais… Ces dernières réactions étant celles des lâches et de faux-culs qui donnent des leçons à longueur de journée. Ne pas être d’accord avec Sansal, même trouver ses positions choquantes, ne justifie en rien de relativiser l’acte liberticide dont il est la victime. Rappelons ici que la liberté d’expression des opinions, y compris les plus choquantes, est constitutive d’un régime politique libre comme est censée l’être la démocratie française. C’est d’ailleurs affirmé et reconnu par la Cour européenne des droits de l’Homme, en 1976 :

« La liberté d’expression […] vaut non seulement pour les informations ou les idées accueillies avec faveur, ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’y a pas de société démocratique4. »

Cour européenne des droits de l’Homme

Face au deux poids deux mesures et à la tartufferie généralisée, singulièrement – mais pas exclusivement, et loin de là – chez la France insoumise et les partis frères de l’ex Nouveau Front Populaire, la maison d’édition David Reinharc contribue à sauver l’honneur en publiant en mars 2025 Pour Boualem Sansal, un recueil de textes et d’interventions de personnalités d’horizons vraiment divers en soutien à l’écrivain embastillé. Dirigé par Pascal Bruckner et Michel Gadwolkowicz, l’ouvrage réunit des écrivains (Tahar Ben Jelloun, Sylvain Tesson), des sociologues (Smaïn Laacher, Eva Illouz), un ministre en exercice (Bruno Retailleau) et d’anciens ministres de tout bord (Pierre Lellouche, Gabriel Attal, Bernard Cazeneuve, Manuel Valls, Noëlle Lenoir), des avocats (dont celui de Charlie Hebdo, Richard Malka), des médecins, des juristes, des caricaturistes, des universitaires… une soixantaine de contributions qui exigent la libération sans condition de Boualem Sansal, expliquent son œuvre, démontent les accusations portées à son encontre (d’appartenir à la « fachosphère », entre autres, accusation qui ne tient pas une seconde). Tous ne partagent pas les positions de l’écrivain franco-algérien, et c’est très bien comme ça. Mais aucun ne baisse son froc devant la vilenie, l’injustice et l’hypocrisie. Honneur à eux.

Concluons en citant Marcel Aymé, dans un article de Carrefour daté de 1949, qui répond par anticipation au motif officiel de l’arrestation de Boualem Sansal :

« On peut faire l’apologie du crime sans être inquiété, mais on peut aussi aller en prison pour avoir simplement mis en discussion un chapitre d’Histoire. Faire œuvre d’historien est maintenant affaire de tact et non plus de savoir et de probité intellectuelle. »

Marcel Aymé, in Carrefour, 1949.

La manipulation de l’Histoire par les castes au pouvoir, en Algérie, en France et ailleurs, conduit toujours au recul des libertés réelles et à l’abrutissement des Hommes. Ne soyons pas naïf, l’Histoire est toujours celle de la caste au pouvoir ; l’Histoire est écrite par les vainqueurs, c’est bien connu. Ce qui ne rend pas sa manipulation à des fins idéologiques acceptable pour autant. Et ce qui rend de facto toute loi mémorielle essentiellement inique.

Libérez Boualem Sansal !

Philippe Rubempré

Collectif, Pour Boualem Sansal, Éditions David Reinharc, mars 2025, 262 p.

1Nous nous garderons bien ici de trancher le débat historique, ce n’est, nous semble-t-il, pas la question.

2La réalité (et non mon opinion) est que le régime algérien est comme l’empereur du conte d’Andersen, il est nu. Il est contesté par les Algériens (Mouvement du Hirak, manifestations régulières en Kabylie, abstention massive lors des élections et résultats à faire pâlir n’importe quel autocrate de république bananière…), ne tient que par la collusion des généraux et des islamistes (si l’on en croit la majorité de la presse française), qui s’accordent pour spolier le peuple algérien de ses libertés et de ses richesses en accusant la France, l’ancien colonisateur, horresco referens, d’être responsable de tous ses maux. Ce qui peut sembler de bonne guerre. Le problème est la France, qui ne réagit jamais ; au mieux qui ignore, au pire qui cède du terrain, incapable qu’elle est de se faire respecter, de crainte d’hypothétiques réactions violentes de la diaspora algérienne vivant sur son territoire.

3Frontières est un média qui s’assume de droite. Son « malheur » est qu’il est critique de l’immigration, du mondialisme et des dérives de l’état de droit vers un « pouvoir des juges » (non-élus, donc anti-démocratique). Cette ligne éditoriale est légale autant que légitime, qu’on l’apprécie ou non, ce n’est en rien la question. Libre à chacun de contester les propos tenus dans Frontières, sous réserve d’honnêteté intellectuelle. À aucun moment Frontières ne formule de proposition ou ne défend de position d’extrême-droite (donc, puisqu’il faut bien la définir, cette fameuse extrême-droite, valorisant le culte du chef, un État fort, l’autoritarisme, l’anti-parlementarisme de principe, la censure, la répression des dissidents, la désignation de boucs-émissaires en raison de leur ethnie, religion, appartenance supposées ou réelles). Frontières combat avec ses arguments (contestables, comme toute ligne idéologique, et fort heureusement contestés, preuve qu’il reste un semblant de débat dans ce foutu pays qu’est devenue la France) à la fois l’idéologie réviwokiste d’extrême-gauche, et libérale-libertaire macronito-UE compatible dont les grands succès depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale illuminent notre quotidien. Il semble que ce soit suffisant chez certains décérébrés incultes et moutonniers qui composent l’essentiel de notre « élite » politico-médiatique pour être qualifié « d’extrême-droite » (laquelle existe en France, hors de l’arc parlementaire, a ses publications et a même présenté une liste aux dernières européennes, Forteresse Europe, dont le score lilliputien est passé inaperçu).

4Citation empruntée à l’avertissement figurant au début de chaque numéro de la revue satirique de droite La Furia, elle aussi sous le coup d’une procédure judiciaire intentée notamment par SOS Racisme visant à la censurer (mais où est Charlie ? – qui défend sans arrière-pensée Boualem Sansal), procédure doublée des pressions d’usage sur les distributeurs pour qu’ils retirent la revue de leurs rayonnages, au nom de la liberté et de la démocratie bien entendu (pas d’accord ? Facho, va!).

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