À l’aventure, et sa petite sœur, l’espérance !1
À l’heure où nous écrivons cette chronique, nous sommes confinés depuis un mois et pour un mois encore, a minima. L’occasion de se replonger dans sa dvdthèque. Et quoi de plus dépaysant qu’une partie de chasse pour s’évader ? L’excellente maison Bach Films a édité en coffret collector La chasse du comte Zaroff, produit en 1932 par Schoedsack et Cooper, qui produiront également King-Kong un an après. Un très beau produit, enrichi du texte de la nouvelle originelle de Richard Connell et d’un bonus de grande qualité. Saluons ici le travail d’orfèvre de Bach Film.
La chasse du comte Zaroff nous rappelle qu’il est des confinements plus confortables que d’autres… Un yacht fait naufrage à proximité d’une île tropicale entourée de récifs et de requins. Seul Bob Rainsford, chasseur émérite, sauve sa peau et atteint le rivage. Se guidant à l’instinct à travers une jungle, il débouche sur une forteresse, dont la présence est pour le moins incongrue en ces lieux. La porte massive présente un étrange heurtoir orné d’un buste de centaure au coeur transpercé d’une flèche, portant dans ses bras une jeune femme évanouie. On a connu des accueils plus rassurants… Interloqué mais nécessitant secours, Rainsford frappe. Reçu par le comte Zaroff, propriétaire solitaire de cette île où il vit reclus avec ses domestiques et ses chiens, il fait la connaissance de deux autres naufragés également hébergés là, Eve Trowbridge et son frère Martin. L’accueil est chaleureux, Zaroff fait montre d’un grand savoir-vivre et d’une culture aristocratique, et s’avère passionné de chasse. Ayant fait de la chasse sa vie, Zaroff explique à Rainsford, chasseur de grand gibier et auteur d’ouvrages cynégétiques, pratiquer sur cette île une chasse unique, que lui seul connaît, un gibier unique au monde, the most dangerous game, le gibier le plus dangereux… sans plus de précision. C’est ce soir-là qu’Eve, alertée par la disparition de son frère, cherche de l’aide auprès de Rainsford. S’engageant dans la galerie des trophées, ils découvrent la nature du gibier et de la chasse extraordinaire vantée par Zaroff. Leur refuge se transforme alors en cauchemar cynégétique…
Pour les amateurs de vieux films et d’aventures, La chasse du comte Zaroff est superbe ! Le comte, Janus chasseur, génie cosaque à double visage, exerce un charme dérangeant ; les décors, cette forteresse au coeur d’une île tropicale peuplée de jungle, marécages, gouffres et rivière torrentueuse, tout ici est fait pour faire tourner la boîte à bovaryser ! Le suspense va crescendo jusqu’à l’ultime image du film ; l’aventure est mémorable. Bel objet cinématographique et chouette aventure, mais aussi matière à réflexion sur notre condition. Les échanges entre deux chasseurs émérites, Zaroff et Rainsford, confrontent deux sens de l’honneur, la noblesse s’allie à la cruauté, la justice au compromis.
La chasse du comte Zaroff offre une belle d’1h30, évasion appréciable en ce printemps confiné. Un dernier mot sur les boni, ils sont vraiment soignés. Les cinéphiles se régaleront avec les commentaires de Stéphane Bourgoin et les entretiens avec Jacques Zimmer. Le coffret comporte également la traduction de la nouvelle de Connell, et l’adaptation radiophonique par Orson Welles, notamment. Enfin, un second DVD propose le remake de 1961, Bloodlust, signé Ralph Brooke, et le film Chang, produit par Schoedsack et Cooper en 1927.
Bonne évasion !
Philippe Rubempré
La chasse du comte Zaroff (The Most Dangerous Game), USA, 1932, réalisation Irving Pichel & Ernest B. Schoedsack, production Merian C. Cooper & Ernest B. Schoedsack, avec Leslie Banks, Joel McCrea, Fay Wray et Robert Amstrong. Réédition coffret Bach Film édition collector, 2009, 1h23, noir et blanc, VOSTFR, format 4/3, tout public.
1 Retranscrit plus ou moins fidèlement d’un dialogue d’Arsène Lupin, avec Georges Descrières.