« J’imagine que l’on peut trouver son bien dans l’œuvre de Mme Ernaux ; mais quelque chose s’est bloqué en moi depuis neuf ans […] qu’elle a écrit le texte honteux que l’on sait sur Millet. C’est moins d’avoir écrit ce texte, d’ailleurs, qui est honteux, que d’en avoir fait une pétition pour obtenir la mise au ban de Millet […]. On ne se comporte pas comme ça ; ou alors, après, on meurt de honte. Je constate que Mme Ernaux est toujours en vie : c’est son droit ; le mien est de la mépriser : ça m’évite de la haïr. »
Bruno Lafourcade, « L’ordre des choses », in Les Cosaques et le Saint-Esprit
Ironiste, portraitiste et satiriste hors-pair, Bruno Lafourcade a réuni une centaine de chroniques parues entre 2017 et 2020 dans divers supports. Intitulé Les Cosaques et le Saint-Esprit, se plaçant par son titre sous l’œil du volcanique pamphlétaire catholique Léon Bloy, ce recueil de petits bijoux au style incisif et mordant est un régal pour l’esprit et le moral. Comme dans La Littérature à balle réelle et Les Nouveaux Vertueux, l’écrivain croque l’époque avec brio, et redonne du baume au cœur de ceux qu’elle désole par sa dé-civilisation liquide et métastasée (culte du fric, du moi, de la mondialisation, du multiculturalisme, des (pseudo)victimes, chute abyssale du niveau scolaire, de la culture générale, du savoir-vivre, violences sociales et ré-ensauvagement exponentiels, tyrannie des écrans, réseaux dits sociaux et autres GAFAM, j’en passe et des pires…).
Lafourcade a l’art de mettre le doigt là où ça fait mal, et de le faire avec humour – cette politesse du désespoir – et style. Mutatis mutandis, il rappelle Voltaire rimant contre le journaliste Jean Fréron de belle et cruelle façon ; mais Lafourcade exerce sa plume et tire sa rapière contre la télé-réalité, les baudruches littéraires (Angot), les chialeuses subventionnées du néoféminisme, les Torquemadettes à la petite semaine (Annie Ernaux, un vrai cas d’école), bref, les monstres de notre époque foireuse.
Bruno Lafourcade ne se contente pas d’attaquer ; il loue aussi : la langue française, la culture et la civilisation, les paradis perdus (les plus beaux, selon le mot célèbre de Proust – Marcel, pas Gaspard), ceux qui se battent pour exister – ces gens « qui ne sont rien » affrontant les assauts du minoritarisme les étouffant pour mieux les empêcher de vivre. Ces chroniques drôles et désespérées laissent néanmoins entrevoir une lueur d’espoir pour des temps meilleurs… À Dieu vat !
Bruno Lafourcade, également romancier et essayiste, mérite largement sa place au panthéon des chroniqueurs – ces romanciers de leur époque –, aux côtés de Philippe Muray, Gérard Oberlé ou Thomas Morales, pour ne citer que trois mousquetaires dont les livres me sont chers.
Philippe Rubempré
Bruno Lafourcade, Les Cosaques et le Saint-Esprit, Éditions de la Nouvelle Librairie, 2020, 353 p.