Si vous désirez visiter la capitale de la Belgique – cette vue de l’esprit, ainsi que l’affirmait avec malice Jacques Brel, taquin –, ne cherchez pas de guide chez Michelin ou à l’office de tourisme, comme il est d’usage dorénavant de baptiser les syndicats d’initiatives. Précipitez-vous Aux Armes de Bruxelles (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), vénérable brasserie de la ville et chant d’amour envoûtant signé Christopher Gérard.
En ces temps sinistres où la figure du père est tant sur la sellette, lisez Le Prince d’Aquitaine (Pierre-Guillaume de Roux, 2018), roman consacré par Christopher Gérard à son père, dont le moins qu’on puisse dire est qu’il ne fut pas exactement un père modèle. Un roman rare, sur lequel il faudra que je revienne, à mettre au panthéon des grands romans sur la figure paternelle, aux côtés du Grand Santini de Pat Conroy, du Professeur d’histoire de Vladimir Volkoff ou du Nain Jaune de Pascal Jardin.
Nostalgique des sagesses antiques et païennes, initiez-vous en compagnie d’Oribase en partageant Le Songe d’Empédocle (L’Âge d’Homme, 2003), de Brocéliande à Delphes en passant par Rome et les rives du Gange, le voyage mérite assurément le détour.
Essayiste, romancier, âme de feue la revue Antaïos et animateur du blogue littéraire Archaïon, Christopher Gérard est une plume qui compte pour qui Aime Lire à l’heure des foires aux livres bisannuelles pompeusement dénommées « rentrées littéraires ». Vous le lirez dans diverses publications, dont l’excellent Service littéraire, l’érudite et iconoclaste revue Livr’Arbitres ou encore Causeur. En 2013, Gérard a publié un recueil de portraits d’écrivains intitulé Quolibets. En 2023, les Éditions de la Nouvelle Librairie font paraître Les Nobles Voyageurs, journal de lectures de Christopher Gérard qui constitue une version (considérablement) enrichie de son ouvrage de la décennie précédente.
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La première chose qui m’a interpellé à la lecture est que ces Nobles Voyageurs sont une invitation au voyage. Êtes-vous prêt à embarquer ?
Comme une encyclopédie, les entrées sont classées par ordre alphabétique. Christopher Gérard y cisèle les portraits de ses écrivains choisis, toujours fidèles en amitiés littéraires, par-delà les polémiques parasites et vaines (Matzneff, par exemple, dont l’affaire éponyme révèle la profonde hypocrisie germanopratine), quitte à choquer les lombrics qui confondent littérature et moraline. Ainsi, cent vingt-deux princes de lettres sont honorés, de Jean-Claude Albert-Weil à Paul Willems, tous réfractaires, pour reprendre le terme de Bruno de Cessole, certains connus, d’autres plus buissonniers. La Belgique est bien entendu représentée (Baronian, De Decker, Pol Vandromme…) ; l’Europe orientale également, grâce à la fréquentation de Vladimir Dimitrijevic (1934-2011), fondateur et âme des éditions L’Âge d’Homme.
Christopher Gérard insuffle une irrésistible envie de se frotter aux écrivains qu’il dépeint d’une plume lumineuse. Les Nobles Voyageurs sont un recueil qui se lit comme un roman, et auquel on retourne comme à un bréviaire ; un bréviaire pour lecteurs insoumis, tels que le regretté Dominique Venner le concevait : « Être insoumis […] cela signifie être à soi-même sa propre norme par fidélité à une norme supérieure. S’en tenir à soi devant le néant. Veiller à ne jamais guérir de sa jeunesse. Préférer se mettre le monde à dos que se mettre à plat ventre. » Christopher Gérard appartient à cette aristocratie, cette race de seigneurs.
Enfin, saluons ici le chroniqueur qui met à l’honneur tant d’écrivains de qualité qui n’ont pas (toujours) l’aura qu’ils méritent dans cette foire à l’encan qu’est devenu le paysage éditorial franco-belge. Certains sont chers à mon cœur, et la lecture des Nobles Voyageurs saura vous convaincre de (re)découvrir, entre autres, Juan Asensio, Arnaud Bordes, François Cérésa, Bruno de Cessole, Luc Dellisse, Ghislain de Diesbach, Guy Dupré, Bruno Favrit, Pierric Guittaut, Patrice Jean, Bruno Lafourcade, Sébastien Lapaque, Érik L’homme, Olivier Maulin, Thomas Morales, Gérard Oberlé, Roger Scuton et j’en passe. Quant aux autres, il me tarde de les relire sous un jour nouveau ou de les explorer.
Philippe Rubempré
Christopher Gérard, Les Nobles Voyageurs, éditions La Nouvelle Librairie, 2023, 465 p.
Merci infiniment pour cette généreuse chronique.
Christopher Gérard