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mercredi décembre 18th 2024

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Merde à l’an 2000 – Alphonse Boudard

Réjouissant recueil d’articles et chroniques du truculent Alphonse Boudard – résistant, taulard, tubard, romancier, scénariste et co-auteur de l’inimitable Méthode à Mimile, la méthode Assimil de l’argot –, Merde à l’an 2000 embrasse les thèmes chers à son auteur : souvenirs intimes, de taule, de sana, littérature, cinéma, amitié (pages tendres et merveilleuses sur Georges Brassens ou Albert Simonin). Alphonse Boudard distille le plaisir comme le bouilleur de cru la gnôle.

Écrites dans un français valsant du classicisme à l’argot dont Boudard est un éminent représentant, ces chroniques invitent à la curiosité, à la modestie, et à la joie de l’instant. Elles sont empreintes d’une douce nostalgie, dénuées de leçons de morale.

Ainsi, sur la thématique de la liberté d’expression qui m’est chère, « Merde à l’engagement », chronique consacrée à l’écrivain Lucien Rebatet1, est exemplaire. Rappelons ici que Boudard s’est engagé dans la Résistance, puis dans l’armée de Libération, et qu’il est irréprochable sur ce point, contrairement au donneur de leçon Sartre (pour ne citer qu’un cas emblématique). Alphonse Boudard y constate que « l’engagement nuit à l’intelligence », interdisant toute velléité de clémence ou de pardon, ne permettant pas de reconnaître le talent d’un adversaire, d’un ennemi, d’un salaud comme Rebatet (lire Les Décombres dans sa version non-expurgée : Lucien Rebatet, Le dossier Rebatet : Les Décombres – L’inédit de Clairvaux, Édition établie et annotée par Bénédicte Vergez-Chaignon, préface de Pascal Ory, Bouquins – Robert Laffont, 2015.), tout en exonérant son propre camp de tout écart. Or, Boudard interroge : « on pourrait alors reprocher aux intellectuels communistes leur complicité dans les crimes staliniens ? […] Comme Rebatet suivait Hitler, eux filaient le train du petit père des peuples. » Force est de le constater et de m’en désoler, ce deux poids, deux mesures, cette dichotomie de traitement est d’une actualité criante… Savoir reconnaître le talent même chez un ennemi est un signe de discernement, et il ne viendrait à personne l’idée de censurer l’immense poète Louis Aragon pour stalinisme non-repentant… Brisons-là, nous en avons déjà disserté ici et .

De ces années 1940 qu’il a vécues, Alphonse Boudard a tiré une œuvre romanesque d’une finesse et d’une intelligence qui forcent le respect, loin de tout manichéisme, et dont nous avons chroniqué dans ces pages L’étrange Monsieur Joseph.

L’an 2000 fut fatal à Boudard, qui cassa sa pipe le 14 janvier de cette ultime année du siècle précédent. Reste son œuvre d’une sagacité rare, à (re)découvrir et transmettre.

Philippe Rubempré

Alphonse Boudard, Merde à l’an 2000, Le Dilettante, 2023, 250 p.

1Lucien Rebatet (1903-1972) est un romancier aussi talentueux (Les Deux Étendards) qu’essayiste (Les Décombres) et journaliste (à L’Action française, puis au quotidien collaborationniste Je suis partout) national-socialiste. Condamné à mort à la Libération, il verra sa peine commuée et poursuivra une carrière d’écrivain et de journaliste.

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