Lectures septembre
- Le groom vert-de-gris. Une aventure de Spirou et Fantasio – Schwartz et Yann
- Une tâche sur l’éternité – James Lee Burke
- Les 5ème aventures merveilleuses de Papyrus : L’égyptien blanc – de Gieter
- Les 7ème aventures merveilleuses de Papyrus : La vengeance de Ramsès – de Gieter
- Les 8ème aventures merveilleuses de Papyrus : La métamorphose d’Imhotep – de Gieter
- La ville et les chiens – Mario Vargas Llosa
- La découverte du monde en bande-dessinée : De l’Atlantique à l’Inde – Ulysse et Alexandre le Grand – Pierre Castex, Marcello, Carlo
- Ce pays qu’on abat – Natacha Polony
- La guerre olympique – Pierre Pelot
Ab hinc… 133
« Il faut être économe de son mépris, tant il y a de nécessiteux » – Chateaubriand
L’Ancre de Miséricorde – Pierre Mac Orlan
In memoriam Jean-Claude G.
Mon cher Jean-Claude,
En bon Romain, je te tutoie. Tu m’as déjà pardonné cette familiarité il y a longtemps. Si je suis devenu celui que Philippe Rubempré tente d’être aujourd’hui, c’est en partie à toi que je le dois. À toi qui, professeur de collège, m’a fait découvrir Michel Peyramaure et sa Vallée des mammouths, Henri Troyat et La neige en deuil – le premier roman que j’ai lu d’une traite, celui qui m’a appris, jeune collégien, ce que le mot Honneur signifie – et parmi d’autres encore, L’Ancre de Miséricorde à bord de laquelle je m’évadais pendant les heures de lecture à voix haute en classe et dans mon lit, le soir, dans ma chambre heureusement sans télévision. Cette Ancre de Miséricorde qui m’a fait découvrir Mac Orlan, Pierre Dumarchey de son vrai nom, dont, adulte, j’ai pu apprécier les oeuvres noires et réalistes, ou encore son oeuvre sous pseudonyme, celle que Pompidou préféra oublier à l’heure de le décorer.
Pour toutes ses raisons, et d’autres encore que tu sais, je te dois plus que jamais je n’ai pu te rendre avant que le crabe ne t’expédie par delà le Styx… Les éditions Omnibus ont réédité récemment les romans maritimes de Pierre Mac Orlan. L’Ancre de Miséricorde y figure, bien entendu. Au coeur du recueil. Je me suis procuré le livre que j’ai relu avec un plaisir inchangé. Je te dédie donc cette chronique en modeste remerciement pour l’immense service – et bonheur – que tu m’as offert. Requiescat in pace.
***
Mac Orlan est un auteur qui a le don de vous immerger complètement dans l’univers au sein duquel il désire vous emmener. L’Ancre de Miséricorde n’échappe pas à cette règle. L’auteur maitrise à merveille les ambiances – géographiques, sociales, historiques – et les langages. Lire Mac Orlan relève de l’exercice de plongée en eaux profondes, et a posteriori, je vous confirme que le facteur peut sonner trois fois… en vain. En outre, Mac Orlan, s’il s’adresse à des lecteurs a priori adultes, n’en est pas moins accessibles aux adolescents, avec une exigeance de découverte et une soif d’aventure qui ne font que valoriser sa littérature.
L’Ancre de Miséricorde, un nom mystérieux qui fleure bon la marine à voiles… À Brest, dans cette fameuse rue de Siam immortalisée par Prévert, se tient la boutique du Shipchandler Jean-Sébastien Morgat, qui y vit en bonne entente avec son fils Yves-Marie, dit Petit Morgat, élève au collège militaire. Bon garçon, Yves-Marie collectionne les figurines de soldats sculptées et peintes à la perfection par Jean de la Sorgue, forçat qu’il croise à l’occasion de travaux de réfection des chaussées, et qu’il aborde avec la complicité d’un garde-chiourme peu regardant. Trois événements fondent cette histoire en se croisant : le fameux pirate Petit Radet que l’on croyait pendu en Angleterre serait de retour à Brest ; Jean de la Sorgue cherche à savoir quand et où grâce à l’intermédiaire de Petit Morgat pour lui demander d’acquitter une dette ; enfin, un mystérieux et charmant gentilhomme nommé Jérôme Burns apparaît dans la boutique du shipchandler et vampirise littéralement la curiosité et l’attention de Petit Morgat. Les ingrédients sont réunis, l’aventure peut commencer, et il vous faudra lire le roman…
L’ambiance est brestoise et début Louis XVI. On croise la chiourme, on fréquente les cafés, on boit du rhum, la marine est omniprésente, qu’elle soit royale ou représentée par ces gentilshommes de fortune qu’on ne baptise pas encore pirates… Autour de la figure mystérieuse de Petit Radet, Petit Morgat, brillant promis à l’école d’artillerie de Metz, quoi qu’il ne fut pas noble, se trouve plongé dans une aventure dont le sens de la vie, l’amour et la mort sont les questions essentielles. Le résultat est l’un des meilleurs cocktails aventuriers qu’il ne m’ait jamais été donné de lire. Je le dois à mon maître en lecture, et je ne l’oublie pas.
La lecture de L’Ancre de Miséricorde grandit son lecteur, bien plus que n’importe quel catéchisme ou cours de morale laïque. Merci Jean-Claude.
Chronique à retrouver sur le Salon Littéraire.
Ab hinc… 132
« Notre pine qui êtes au con
Que notre cul soit défoncé
Que votre foutre coule
Que vos couilles se vident
dans les bouches et autres lieux
Donnez-nous notre pompier quotidien
Pelotez-nous les fesses
comme nous fessons ceux qui nous ont pelotés
et enfoncez-nous le pal
Ainsi soit pine »
Benjamin Péret
Portrait craché – Jean-Claude Pirotte
Jean-Claude Pirotte a rejoint André Dhôtel qu’il admirait au Pays d’où l’on ne revient jamais en mai 2014. Avocat en cavale, buveur oberlesque, grand pétuneur devant l’éternel, poète, passeur de poésie dans sa chronique mensuelle au magazine LIRE, romancier, Pirotte nous avait ému avec Brouillard en 2013, texte dans lequel il évoquait son crabe. La mayonnaise et le muscadet ont perdu ; le crabe a vaincu ; Pirotte s’en est allé. Non sans laisser ce roman, Portrait craché, publié à titre posthume.
Ce roman, car c’en est un, porte bien son titre. Le narrateur est l’alter ego de Pirotte, sa vie est celle de Pirotte. Ce texte bouleversant est à lire et à relire. L’homme est atteint d’un cancer métastasé au cervelet, amputé de ses viscères et d’un rein, la cigarette lui est autorisée entre deux chimiothérapies, parce que « ça n’a plus d’importance », que « de toute façon ça ne changera rien ». Il nous parle, il se parle. L’alter ego parle au poète. Sa vie défile au gré de ses souvenirs, perturbés par les analgésiques et les effets secondaires des chimios. L’enfance, orphelin de père, la relation pour le moins compliquée avec la mère, l’enfer scolaire, le réconfort du grand-père et le bon docteur Dick, le métier d’avocat, la condamnation injuste et infondée qui l’oblige à l’exil et à la cavale… Et le rapport aux livres, aux auteurs qui accompagnent le narrateur depuis l’enfance jusqu’à cette unité de soins palliatifs, où Joubert, Nerval, Maurice de Guérin, Marcel Arland, « ce cher Reverdy » et d’autres remplacent les analgésiques en gros comprimés que sa paralysie faciale l’empêche d’avaler.
Pirotte nous offre un roman testament, livrant son dégoût et sa crainte du monde tel qu’il va. Le constat est amer :
« La malédiction de « l’informatique » est accueillie depuis des années déjà comme une précieuse « avancée de l’information ». Tout et tout de suite, c’est-à-dire rien et jamais (Je souligne). Les écrivains, ou ceux qui s’imaginent l’être, ne jurent plus que par leur écran. Et le bon peuple se désinforme, on joue à l’appréhension de la « culture » et de la connaissance du monde en cliquant sur sa machine personnelle, remplaçante de son cerveau. »
Lucide et effrayant. Sic transit gloria mundi…
Portrait craché de la Littérature, de la maladie, de la mort, de la relation à la douleur, à la maladie, à la mort, à la Littérature. Portrait craché de la relation au père, à la mère, au monde, aux auteurs et aux livres. Portrait craché du narrateur, de son désalter-ego l’auteur, du poète et du romancier. Hommage à la Littérature, aux maîtres en Littérature et en Poésie de Jean-Claude Pirotte, à ses « pères » de substitution qu’il s’est attribué, « parmi lesquels Max Jacob, Desnos et Fondane. » Le livre est essentiel, il nous parle de l’essentiel, la vie, l’amour, la mort. Il en parle de manière profonde, lucide, bouleversante (je me répète). Un Portrait craché à ranger en regard de l’Itinéraire spiritueux de son ami Gérard Oberlé. Laissons le mot de la fin à Jean-Claude Pirotte : « L’universelle entreprise de décervelage a gagné les campagnes les plus lointaines et les lieux les plus improbables. C’est le règne du Père Ubu ».
Ite missa est.
Chronique à retrouver sur le Salon Littéraire.