L’Imparfait du Présent – Alain Finkielkraut
D’emblée fâchons les ceusses-qui-ne-voient-Finkie-que-sous-le-prisme-du-conflit-israélo-palestinien, c’est-à-dire comme le colonisateur fasciste et « islamophobe » qu’il n’est pas et n’a jamais été. La lecture de cet essai, ou de cette chronique, nous a été lumineuse. Un vrai plaisir, intense intellectuellement autant que sur le plan littéraire. De là à dire que nous approuvons l’intégralité de ce que le livre expose, il y a un pas que nous ne franchirons pas. Par modestie, de prime abord. Les textes relatifs au Proche-Orient nous interpellent, d’autant plus que nous fréquentons artistes et intellectuels en profond désaccord avec Monsieur Finkielkraut ; ceci étant, nous nous refusons à tomber dans le piège de l’engagement – et si possible, nous tenterons d’éviter celui du dégagement. Nous avons la faiblesse de penser que ne connaissant pas suffisamment l’histoire, la géographie, la situation politique, sociétale et religieuse, notre « avis » sur la question serait infondé (comprendre fondé sur le sentiment et non la raison). Or, seule la pensée politique ou géopolitique fondée sur le droit et les faits est légitime, réaliste, raisonnable, pour ne pas dire souhaitable. Pour toutes ces raisons, nous ne chroniquerons pas non plus les textes relatifs au conflit en ex-Yougoslavie. Nous allons donc nous attacher à commenter d’autres thèmes abordés dans les textes de ce recueil du millénaire naissant, choisis en fonction de notre réactivité à leur lecture. Pas non plus d’analyse globale (pas d’analyse : c’est bon pour les Diafoirus de dispensaire), pas de chronique d’ensemble.
***
Défense de la langue française et de la transmission de l’héritage culturel
Le cheval de bataille favori de Finkie ! Il en parle avec passion, argumente fougueusement et sans relâche pour enfoncer ce qui, à notre sens, devrait être une porte ouverte, mais qui est devenu une preuve de crypto-fascisme : pour être citoyen à part entière, pour « faire société » (nous empruntons cette horrible expression à Claude Askolovitch), il est fondamental de maîtriser la langue, l’histoire, la littérature du pays. Son héritage culturel. Une civilisation – une nation également, à moindre échelle – se définit par une géographie, une histoire et une langue (et même par un environnement et un climat) ; c’est-à-dire un héritage commun, le socle qui réunit l’ensemble des citoyens (appelons les ainsi), le corpus adopté par ceux qui souhaitent intégrer cet ensemble, et à partir duquel il devient possible d’imaginer et de construire un avenir commun. Ce système impliquant des valeurs, il est pour le « Bien » universel (quoique minoritaire) soupçonné d’être essentiellement raciste, dans le sens ou pour ces Gens là, tout ce qui pense différemment d’eux est raciste à sa manière. Pour le « Bien », tout se vaut. Les seules différences admises le sont dans le cadre d’un égalitarisme parfait. Hors l’égalité, point de salut. Juste des suspects. Le spectre de Saint-Just refait surface, avec ses escadrons de Fouquier-Tinville d’opérette. Finkielkraut, en s’efforçant de penser cet héritage culturel et son devenir, combat intelligemment ce « Bien ». Ce « Bien »qui prétend s’imposer au nom de valeurs universelles car elles sont les seules admises… et par conséquent sont tout, sauf des valeurs (nous appliquons le même raisonnement aux idéologies politiques et autres dogmatismes religieux). Finkielkraut défend remarquablement sa position, sa lecture est lumineuse… et ne manque pas d’humour, comme le démontre sa version paritaire de la fable de La Fontaine Le corbeau et le renard, qui ne manque vraiment pas de sel ! De ce point de vue, l’auteur souligne avec brio l’absurdité du « Bien » universel (et minoritaire, nous ne le répèterons jamais assez).
Cette défense de l’héritage nécessaire à l’élaboration de toute pensée (y compris la tabula rasa) pose en préalable le combat pour l’école et l’élitisme républicain. En cela, nous sommes en symbiose avec Alain Finkielkraut. Nous résumerons cette bataille essentielle pour la transmission en proposant un essai de définition de ce qu’est l’élitisme républicain. L’élitisme républicain n’est pas la doctrine consistant à tout donner aux meilleurs en laissant la masse à la ramasse ; l’élitisme républicain est la nécessité d’amener chaque enfant, chaque élève, chaque discipulus, au maximum de ses capacités et de ses compétences, tout en leur conférant le socle de connaissances minimum à l’exercice plein et entier de leur citoyenneté future, c’est-à-dire, à l’exercice de leur liberté (et donc de leur responsabilité sine qua non). Ceci implique qu’il existe une « inégalité » naturelle entre les êtres qui ne se fonde ni sur une prétendue « race » ni sur l’origine sociale, donc qui est inadmissible pour nombre de personnes. D’autant plus que l’excellence est par nature minoritaire. Or cette « inégalité », cette différence de capacités, de compétences, de connaissances fonde la richesse de l’Humanité. Et ne remet aucunement en question l’égale dignité de chaque être humain à la naissance.
***
Défense critique de Renaud Camus
Nous croyons fermement qu’en matière d’opinion, de pensée, tout doit pouvoir être exprimé, et donc que tout doit pouvoir être critiqué, combattu ou défendu. Y compris de ce qui apparaît indéfendable, odieux, immonde. Tant que cela reste sur le plan du débat d’idées, de la dispute civilisée (pour reprendre une expression chère à Elisabeth Lévy), de l’affrontement argument contre argument. Plusieurs textes de cet ouvrage sont consacrés à la défense critique par Alain Finkielkraut de Renaud Camus. Constatons de prime abord que c’est courageux de sa part. Clarifions ensuite notre position : le fait que Camus soit homosexuel ou ait soutenu, de manière circonstanciée, Marine Le Pen, nous nous en tamponnons le coquillard. Insuffisant pour juger d’un écrivain (ou même d’un homme). Camus nous interroge par l’expression manifestement problématique d’une opinion sur une émission de France Culture intitulée Le Panorama (au moment de la parution du livre, le sulfureux n’avait pas, sauf erreur, théorisé son « grand remplacement(1) », lequel l’a définitivement rangé du côté des infréquentables – ce qui présente l’avantage d’éviter de le lire, de penser, de réagir intelligemment). De ce que nous en savons, il a été reproché à Renaud Camus par Weitzmann (dans une tribune(2) publiée par Les Inrockuptibles) d’être antisémite pour avoir considéré que ladite émission radiophonique reflétait une forme de communautarisme juif. Nous ignorons la réalité de ce point (et nous nous en foutons). Nous constatons simplement que Camus a subit ce qu’il faut bien nommer un lynchage médiatique. Et c’est là ce qui nous interpelle, c’est là que la réaction de Finkielkraut nous apparaît raisonnable. Finkielkraut qui, vous nous le concéderez, ne peut être suspect d’aucune forme d’antisémitisme, d’anti-sionisme ou d’anti-judaïsme.
La République française est Une et Indivisible (nous voulons encore y croire), par conséquent, aucune forme de communautarisme n’est tolérable, même en version allégée. Pas plus juif que musulman, chrétien, homosexuel, de classe, féministe ou rouge et jaune à petits pois. La Nation française se compose de citoyens, donc d’individus. Pas de communautés. Le communautarisme, c’est la guerre. Froide dans le meilleur des cas ; civile au pire. Si donc Renaud Camus a dénoncé ce qu’il a jugé être une forme de communautarisme, il a eu raison de le faire. C’est parfaitement légitime quand bien même l’expression en serait maladroite voire outrancière. Et ses contradicteurs ont raison de réagir et sur la forme et sur le fond, mais avec des arguments. C’est sur le fond qu’il fallait répondre, au lieu de hurler au retour du loup nazi ! La sinistre reductio ad hitlerum est une arme de crétins infoutus de penser ou d’argumenter. C’est bon pour les incultes, les dogmatiques ou les personnes de mauvaise foi. Finkielkraut a, nous semble-t-il, adopté la bonne réaction en ayant l’honnêteté de donner la parole à Camus pour qu’il s’explique, clarifie et défende sa position, tout en lui assénant sa contre-argumentation (et il est redoutable en la matière). Réagir, même violemment, à la position exprimée par Camus est également légitime, à la condition sine qua non que la réaction soit argumentée et sur le fond. Le temps n’est plus au wergeld, aux ordalies ou au crime d’honneur. Le lynchage médiatique est une forme de procès stalinien sans même un simulacre de défense. Il vise à rayer un « mal pensant » de la carte. À le flinguer intellectuellement – et si possible financièrement (pourquoi ne pas joindre l’utile à l’agréable ?). En lui fermant les portes des éditeurs, des journaux, des médias… C’est presque réussi avec Renaud Camus. Nous en admirons d’autant plus Alain Finkielkraut de lui conserver son amitié et de l’assumer. Il semble que Finkie soit un homme d’Honneur (valeur désuète, ringarde pour une certaine gogôche, mais qui nous parait indispensable à toute forme de respectabilité). Enfin, vous nous excuserez, mais ne trouvant plus les ouvrages de Renaud Camus en librairie (et refusant tout commerce en ligne), nous n’avons pas lu le texte incriminé (juste les extraits soigneusement choisis par la presse pour justifier l’hallali). Ceci explique que nous nous exprimions sur la forme (le lynchage médiatique et ses avatars) et non sur le fond (le supposé communautarisme juif du Panorama, émission que nous n’avons pas écoutée). Ne disposant que des textes de Monsieur Finkielkraut (ce qui ne nous suffit pas, avec tout le respect qui lui est dû), de Wikipedia et de quelques articles lus au hasard de recherches en ligne, l’honnêteté nous impose de nous abstenir de tout commentaire sur le fond. Après lecture, nous pourrons être amené à nous exprimer en connaissance de cause sur ce prétendu communautarisme de cette émission décédée.
***
Nous pourrions également commenter les textes relatifs au procès Papon, mais le terrain est glissant, surtout de nos jours. Cela mériterait un réel travail d’historien (ce qui est incompatible avec le politiquement correct et avec la réécriture des faits au nom d’impératifs politiques, dogmatiques, religieux, sociétaux… Nous vous renvoyons à l’affaire Pétré-Grenouillot et à la Loi Taubira(3) qui ne fait de l’esclavage un crime contre l’Humanité que lorsqu’il est le fait de Blancs, bien que les Arabes l’aient pratiqué plus longtemps et à plus grande échelle, mais il ne faudrait pas blesser la frange la plus fragile des jeunes issus de l’immigration – dixit Madame Taubira (4) elle-même). Nous concluons donc ici cette chronique en vous invitant à lire Alain Finkielkraut qui a le mérite de penser, de donner à penser et à contre-penser avec un talent littéraire certain et un sens de l’humour insoupçonné.
***
(1)- Sur la théorie du « grand remplacement » de Renaud Camus à laquelle je fais référence, je vous renvoie à ses propres explications
http://www.bvoltaire.fr/renaudcamus/non-au-changement-de-peuple-et-de-civilisation,35190
Étant entendu que je n’approuve ni défends cette thèse, mais que, la mentionnant, je la soumets au débat et à la discussion (civilisée et argumentée, exclusivement).
(2)- Voici le texte de la tribune de Marc Weitzmann publié par « Les Inrockuptibles ». Je ne l’ai retrouvé que sur le site de Renaud Camus ; je suppose que le texte n’est pas tronqué (en tout cas je le souhaite).
http://www.renaud-camus.net/affaire/weitzmann.html
(3)- Sur la Loi Taubira relative à l’esclavage évoquée en conclusion, voici plusieurs liens :
– La loi
http://www.assemblee-nationale.fr/11/dossiers/esclavage.asp
– Un article critique publié par Causeur
http://www.causeur.fr/il-etait-une-fois-la-loi-taubira,17651#
– La position de Daniel Clairvaux (blog hébergé par le Nouvel Obs)
http://danielclairvaux.blogs.nouvelobs.com/tag/loi+taubira
(4)- Nous avons quelque peu reformulé ou interprété les mots de Mme Taubira quant à la question de l’esclavage. La justification exacte de Mme Taubira pour ne considérer comme crime contre l’Humanité que la traite négrière « blanche » est qu’il ne faudrait pas que les « jeunes Arabes ne portent pas sur leur dos tout le poids de l’héritage des méfaits des Arabes. » Comme si les jeunes Arabes étaient trop cons pour assumer et comprendre la réalité des faits historiquement établis…
Vous comprendrez que nous sommes en profond désaccord avec cette justification ; nous considérons que les jeunes Arabes (ou pas) sont capables de comprendre et de reconnaitre la réalité des faits.
BRASSENS. Auprès de son arbre – André Tillieu
Soyons clair, c’est le meilleur ouvrage que nous ayons lu sur Tonton Georges, et nous en avons lu quelques-uns ! Pourquoi ?
Tillieu, un proche de Brassens, nous offre un livre très personnel. Il peint le Brassens de Tillieu comme Manet peint son Olympia. Ni biographie, ni hagiographie, et pourtant la vie de Brassens par un admirateur de Brassens. Au fil de la lecture, nous avons vécu dans la peau de Tillieu avec Brassens. Une sensation de le vivre en le lisant exceptionnelle, inhabituelle, à mille lieues du livre souvenir qui est publié comme par hasard au moment des fêtes de fin d’année. Ce livre est en outre richement illustré de photographies judicieusement légendées (malignement devrions-nous écrire) ; on est loin de la légende Petit Larousse ou du manuel scolaire.
Plus qu’une biographie ou un hommage à Brassens, André Tillieu signe un merveilleux livre sur l’Amitié avec un A majuscule. Un Grand Livre pour un Grand Poète. Pour un Grand Homme.
Chronique à retrouver sur le Salon Littéraire.
Ab hinc… 103
« La meilleure façon de servir la République est de redonner force et tenue au langage. » – Francis Ponge
Ab hinc… 102
« Le boulot, y en a pas beaucoup. Faut le laisser à ceux qui aiment ça. » – Coluche