Passer la nuit – Marine de Van
Pour être honnête, nous nous attendions à partager une expérience insomniaque. Ce fut une expérience, partagée certes, de doute, d’ennui, de questionnements intimes, voire de dépression. Que se passe-t-il dans ce livre ? Pour ainsi dire, rien. Un morceau de vie inutile d’une personne se sentant, se pensant et se vivant inutile.
Plusieurs de ces non-épisodes vécus – ou de ces moments de vie non vécue – nous ont laissé un amer goût de déjà vécu. Ce livre est une curiosité pour psychanalyste ou psychologue ; il emmerdera les heureux bons vivants – pire encore, il leur fera pitié ; il poussera au suicide les dépressifs ; il dépressivera les déprimés.
Marina de Van est une réalisatrice de cinéma que nous n’avons pas l’heur de connaître en tant que telle. Son incursion dans l’écrit romanesque est un succès du point de vue linguistique ; avec prétention j’ajouterai du point de vue littéraire. La force négative de ce livre est à la hauteur de la « positive attitude » imposée à tout un chacun sommé de réussite professionnelle, familiale et sociale… sous peine de mort.
Chronique à retrouver sur le Salon Littéraire.
Ab hinc… 51
« Faute de penser la morale, on moralise la pensée » – Philippe Muray
Dénonciation des inquisiteurs de la pensée – Marie-Joseph Chénier
Remplacer « censeurs royaux » par « associations ». Pas une ligne, pas un mot à changer. 1789 – 2012, même combat. Le contexte a changé. Nous sommes passé dans l’ère de la post-histoire, pour reprendre un thème cher à Philippe Muray. Les inquisiteurs de la pensée, eux, sont toujours là. Ils ont maquillé leur nom. Ça ne mange pas de pain ; ça offre un visage neuf, lisse, plus alléchant. Ils n’en inquisitionnent pas moins la pensée – et devrais-je ajouter, l’expression de la pensée. Ne vous méprenez pas, je me moque que trois crétins sans talent autre que celui d’avoir « bénéficié » de leur quart d’heure warholien se fassent claquer la gueule et fermer le clapet ; je ne m’intéresse à et ne défend que le principe.
Notons toutefois une évolution depuis le libelle de Chénier frère. Maintenant ils inquisitionnent la pensée au nom de la liberté de penser, ils judiciarisent son expression, ils autocensurent les plus velléitaires, mais au nom de la liberté d’expression. Voilà la nouveauté, voilà une hypocrisie entachée de cynisme qui me semble ne pas exister en 1789. Les censeurs royaux s’assumaient, eux.
Je vous livre ici une courte réflexion, ou plus exactement le constat succinct d’une réalité, celle d’un monde irréel et pourtant concret, d’un monde vivant mais peuplé de morts de plus en plus nombreux, notre monde démocratique occidental. Ce qui me vaudra l’honneur d’être traité de réac, néo-réac voire de facho par les cons.
Ab hinc… 50
« Je sais que je sympathise avec l’Église, avec le despotisme religieux, J’ai raison ou tort ? Je crois avoir raison, mais je n’en ai pas la certitude. J’ai de l’antipathie pour la philosophie, pour la liberté de penser, pour la liberté d’action, la liberté d’écrire des livres, de faire des tableaux et d’exprimer des idées personnelles. Je hais la liberté de croyance ou de non croyance, et la république. Je hais l’émancipation de l’individualisme et celle des femmes. Je ne peux plus entendre tous le bavardages qu’on fait, que tous font sur toutes les choses, sur l’art, sur l’histoire, sur la philosophie, où chacun croit pouvoir exprimer la plus misérable idée qu’il s’est faite dans son cerveau. Pourquoi est-ce que l’Église ne brûle plus, ne torture, ne tue plus tous ceux qui osent penser ce qui leur plait ? » Alberto Giacometti (1924)
L’art français de la guerre – Alexis Jenni
Contrairement à ce que suggère le titre, il ne s’agit ni d’un traité de poliorcétique, ni d’un manuel de stratégie. Alexis Jenni – auteur de gauche – pratique ici une autopsie romanesque et littéraire d’une génération de guerres, de la Résistance à l’Algérie en passant par l’Indochine. Heureuse surprise ! point de repentance ici – cette seconde faute à entendre Spinoza… Construit autour du dialogue entre le vétéran Salagnon et son élève, le roman donne vie avec intelligence à un choeur de personnages secondaires balayant différents points de vue historiques et opinions politiques, sans parti pris flagrant ni caricature excessive. Son héros est Victorien Salagnon, son double littéraire plus probablement le narrateur. Je vous laisse conclure sur la position de l’auteur.
Passées les 80 indigestes premières pages, Alexis Jenni redonne ses lettres de noblesse au Roman, seule Littérature majuscule – et seul sérieux, contrairement au journalisme ou aux études historiques – dans la tradition du roman balzacien en tant qu’entreprise des description de la Comédien Humaine… même quand cette dernière vire à la tragédie.