Journal d'un caféïnomane insomniaque
jeudi décembre 5th 2024

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Coney Island Baby – Nine Antico

J’ai adoré. Je dois cependant avouer que je ne sais pas bien comment aborder cette chronique. Peut-être le pitch reste-t-il encore la solution la plus simple, sans doute la meilleure…

Deux candidates au poste de playmate discutent avec Hugh Heffner (Hef pour les intimes) à la luxueuse playboy mansion. Retraçant le parcours de deux icônes, Betty Page et Linda Lovelace, Hef tente de faire prendre conscience aux deux ingénues des retombées possiblement négatives d’une carrière de playmate.

Ce roman graphique, graphite même – usage judicieux et esthétique du noir & blanc – est un véritable concerto pour un orchestre et deux solistes, alternant entre la playboy mansion, les années 1950 de Betty Page, et 1970 de Linda Lovelace. Bien que Nine Antico ne revendique pas le caractère biographique des deux icônes sexy, leurs parcours respectifs sont tout à fait crédibles, ce même en étant au fait de leur carrière.

Comment de jeune fille rangée et éduquée de la middle class américaine devient-on icône fétichiste – Betty Page – ou reine de la pornographie extrême – Linda Lovelace, devenue star avec sa fameuse technique de la « gorge profonde » et au film éponyme, passée depuis par la zoophilie et l’urophilie ? Comment ces deux dames basculeront-elles au soir de leur vie vers l’oubli, la pauvreté, le moralisme et la bigoterie, dans l’indifférence générale ?

A travers le récit du fondateur de Playboy, subissant la question de deux candidates à la couverture du célèbre magazine au lapin, Nine Antico retrace ces deux vies exceptionnelles (au sens propre du terme) ; deux parcours de femmes, relatés et mis en images par une femme, sans jugement de valeur.

Au lecteur de tirer les enseignements qu’il voudra bien en tirer… après avoir passé un vrai moment de bonheur bédéphile intense, parole de collectionneur !

Publié chez L'Association

Braise, de Laura DESPREIN

La prose est nerveuse. Singulière. Lexicale. Tantôt poétique. Parfois crue. Jamais Carmen.

Comment Braise deviendra-t-elle femme grâce à Feu, pervers pépère et impuissant ? Mettons de suite les choses au clair : ce roman est tout sauf l’histoire d’un dépucelage. Il est beaucoup plus profond. Entre cauchemars hérités de l’enfance, amour incontrôlé autant que périlleux et la vie d’une jeune fille lycéenne puis étudiante, Braise est un roman de la féminité, un roman sur la femme.

Un texte court et poignant, qui marquera les femmes probablement, mais aussi les hommes. Et s’il en faut une preuve, votre serviteur est là.

Editions Arlea - Coll. 1er Mille

Amour dans une petite ville – WANG Anyi

Roman traduit du Chinois par Yvonne André

Roman d’amour. Le titre est explicite. Roman sur la Chine de la Révolution Culturelle. Roman sur la danse surtout. Quand la danse vous émeut sans assister à une représentation. La danse, vecteur amoureux, nécessaire moyen de survie dans le dénuement extrême des arcanes du maoïsme réel.

Danse. Il est trop petit. Danse. Elle est trop forte. Danse. Travail acharné. Danse. Complicité. Danse. Faute. Danse. Amour physique. Danse. Amour avec un grand A. Danse. Violence. Danse. Spirale des coups. Danse. Amour toujours. Toujours danse. Danse. Mais jusqu’où ?

L’écriture de WANG Anyi est vivante. Sobre, ciselée. Pas un adjectif de trop ; pas un qui manque. Une écriture orientale, pas orientaliste. Sensible et sensuelle. Vibrante. Vécue.

Ce roman a choqué lors de sa sortie en Chine. Les bonnes mœurs du pays de Mao n’ont rien à envier à notre bonne morale judéo-chrétienne.

Un regard sur l‘amour, sur la danse. Un regard sur la vie. Essentiel.

 

Chronique à retrouver sur le Salon Littéraire.

Editions Philippe Picquier

Un mal sans remède – Antonio Caballero

(Sin remedio, Traduit de l’Espagnol – Colombie – par Jean-Marie Saint-Lu.)

Et dire qu’il a fallu 25 ans pour qu’enfin ce chef d’œuvre colombien soit traduit en Français. Cette histoire pourrait être vraie, Escobar avoir réellement vécu à Bogota dans les années 60 – Ignacio, pas Pablo. Peut-on être un poète maudit en vivant des rentes de sa bourgeoise de mère et en fréquentant une infinie quantité de produits plus ou moins dérivés du Capital, des Thèses d’avril et du Petit livre rouge ? A lire Caballero, c’est non seulement possible, mais c’est une étrange maladie, un Mal sans remède, la difficulté à être poète, à être écrivain dans la société colombienne de 1960, dans notre économie capitalisto-mondialisée… Quelle est la place du poète dans la société ? Le poète est-il essentiellement maudit ?

A ces questions fondamentales Caballero greffe une intrigue politico-policière avec une vertigineuse exploration de la nuée des mouvements marxistes des années 60. Ignacio Escobar, notre poète, quitte son appartement bogotien après une dispute avec sa compagne Fina et plonge dans la nuit agitée de la capitale colombienne… Après une rixe dans un bar, il est persuadé d’avoir tué Edan Moran Martin, autre poète. Ainsi commence ce roman d’amour, ce roman d’aventures, ce roman politique, cette nécessaire et extraordinaire introspection sur le rôle du poète, de l’écrivain dans nos sociétés contemporaines.

570 pages de bonheur captivant. Vous n’en sortirez pas indemne !

King Kong théorie – Virginie Despentes

Grande nouvelle ! L’auteur de Baise-moi n’est pas qu’une pute sans cervelle. Et Baise-moi ne se limite pas à de l’ultra-violence teintée de pornographie tendance gonzo-crado. King Kong Théorie permet de comprendre l’œuvre de Virginie Despentes. Le « scandaleux et sulfureux » – j’insiste sur les guillemets – Baise-moi, mais aussi Bye bye Blondie ou les nouvelles de Mordre au travers.

Je suis un mec, il m’est a priori difficile, réflexes de genre obligent, de chroniquer la King Kong Théorie de Virginie Despentes sans préjugés politiquement construits par mon éducation de middle-class catho (7 ans chez les curés, ça ne laisse pas indemne). Et pourtant, bien plus que tout les discours pseudo-féministes autorisés dans les médias de masse, ce livre m’a remué, touché, ému, choqué, indigné, je l’ai acquiescé, enjolivé, dénigré. Plus encore que par sa plume, sincère, nerveuse, crue, punk, Virginie Despentes trouble par sa vérité, par ce qu’elle a vécu, par ce qu’elle est et par ce qu’elle vit.

Je suis prêt à parier que King Kong Théorie ne choquera pas que la bourgeoise BCBG empropagandée au judéo-christianisme moral. Il faut absolument lire ce livre. On peut ne pas être d’accord, cependant il offre une version inédite – que je ne connaissais pas, plus exactement – du féminisme, un féminisme essentiel, franc, cru, violent parfois, une théorie qui a le mérite de bousculer façon King Kong les fondements et de notre société et de notre éducation.

Un livre à lire même si on est un homme.

Un livre nécessaire.

Publié en poche chez Le livre de Poche

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